Nous revenons dans ce commentaire, sur un arrêt du Conseil d’Etat dont la solution a été mentionnée aux Tables du Recueil Lebon et rendu en matière de commande publique et plus précisément, de procédure de passation d’un marché (CE 16 février 2024, Req. n°488524).
L’affaire en cause a fourni en effet l’occasion au Conseil d’Etat de préciser les modalités d’application de l’article L 2141-8, 1° du Code de la commande publique relatives à l’exclusion d’un candidat, dispositions qui sont une transposition du paragraphe 4 de l’article 57 de la directive 2014/24/UE du 26 février 2014.
L’article L 2141-8, 1° du Code de la commande publique dispose :
« L’acheteur peut exclure de la procédure de passation d’un marché les personnes qui : / 1° Soit ont entrepris d’influer indûment sur le processus décisionnel de l’acheteur ou d’obtenir des informations confidentielles susceptibles de leur donner un avantage indu lors de la procédure de passation du marché (…) ».
Dans une décision Département des Bouches-du-Rhône du 24 juin 2019 (Req. n°428866), le Conseil d’Etat avait donné une interprétation extensive de ces dispositions, estimant que pouvait être exclue de la procédure de passation d’un marché, une personne ayant entrepris d’influencer la prise de décision de l’acheteur, non seulement dans le cadre de la procédure de passation en cause, mais aussi dans le cadre d’autres procédures récentes.
Restait à déterminer ce qu’il fallait entendre par « procédures récentes » et c’est à cette question que le Conseil d’Etat a répondu.
En l’occurrence, un département a pris le 11 août 2023 la décision d’exclure une société de la procédure de passation d’un marché de construction d’un collège, au motif que l’associé majoritaire de la société candidate, avait été condamné le 2 décembre 2022 par un jugement du tribunal correctionnel pour des faits de corruption active commis dans le cadre de procédures de passation de marchés publics.
Par une ordonnance de 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille avait annulé cette décision se fondant sur le fait que les faits de corruption s’étaient déroulés entre 2012 et 2016 et n’étaient donc, selon lui, pas récents.
A cette argumentation, le Conseil d’Etat répond que :
« les dispositions susvisées de l’article L 2141, 8° qui doivent être interprétées à la lumière des dispositions de l’article 57 de la directive 2014/24/UE du 26 février 2014 qu’elles transposent en droit national, lesquelles limitent à trois ans la période pendant laquelle un opérateur peut être exclu dans les cas visés au paragraphe 4 de cet article, que l’acheteur ne peut pas prendre en compte, pour prononcer une telle exclusion, des faits commis depuis plus de trois ans.
Toutefois, lorsqu’une condamnation non définitive a été prononcée à raison de ceux-ci, cette durée de trois ans court à compter de cette condamnation ».
Il résulte d’abord de ce considérant, éclairé par les conclusions du Rapporteur public (disponibles sur Ariane web) que le Conseil d’Etat a estimé que seules des procédures antérieures de moins de trois ans peuvent donner lieu à l’exclusion d’un candidat.
Le point de départ de ce délai de trois ans, diffère selon que les faits à l’origine de l’exclusion ont été sanctionnés pénalement ou non.
S’ils n’ont pas été sanctionnés pénalement, alors il faut remonter à l’époque de leur commission pour déterminer s’ils peuvent être pris en compte.
Si au contraire, ils ont été sanctionnés pénalement par une décision non définitive, c’est la date de la condamnation qui constitue le point de départ au calcul du délai de trois ans.
On voit ainsi que la période de possibilité d’exclusion peut renaître après avoir expiré. Le rapporteur public avait, par une expression très parlante, qualifié ce dispositif « d’exclusion à éclipses ».
Le Conseil d’Etat a estimé qu’en l’espèce, le juge des référés du tribunal administratif a commis une erreur de droit puisque la société candidate avait été condamnée, fût-ce par décision non définitive, le 2 décembre 2022, soit moins de trois ans avant la décision d’exclusion prise le 11 août 2023.
On notera enfin que la décision ici commentée ne se prononce pas sur le cas de la condamnation pénale définitive, mais le rapporteur public avait, quant à lui, relevé, que l’acheteur « pourra de nouveau l’exclure (et même qu’il devra l’exclure), en application de l’article L. 2141-1, durant une période de cinq ans à compter du prononcé de la condamnation pénale définitive. »