Nous inaugurons en 2025, un nouveau style d’article, dans lequel nous présentons l’apport de divers arrêts récents dans le domaine du droit rural. Nous espérons que ce nouveau format vous sera utile.
Pour un commentaire plus détaillé des décisions rapportées, nous vous invitons à consulter le dictionnaire permanent « Entreprise agricole ».
1 – Qui préférer en cas de concours de baux successivement consentis à deux preneurs distincts sur le même bien ? – Cass. Civ 3, 12 septembre 2024, 22-17.070
A deux ans d’intervalle, des bailleurs ont consenti un bail rural sur les mêmes parcelles à deux preneurs différents. Les « premiers » preneurs ont donc saisi le tribunal paritaire des baux ruraux pour obtenir l’expulsion des seconds et l’indemnisation de leur préjudice d’exploitation.
Lequel des deux pouvaient dès lors prétendre au bénéfice du bail ?
Ainsi que le juge la Cour de cassation, le principe est qu’entre deux preneurs successifs de la même chose louée, l’antériorité est donnée à celui dont le bail a acquis date certaine le premier, même si le preneur qui doit céder la place dispose de la jouissance des biens en vertu d’un acte plus ancien et qu’il est de bonne foi (Cass. 3e civ., 3 déc. 2015, n° 14-23.711).
Ce principe ne souffre un tempérament que lorsque le locataire – par hypothèse, le « second » – dont le bail a acquis en premier date certaine, connaissait la présence, dans les lieux, du locataire dont les droits sont en conflit avec les siens. La Cour de cassation considère alors que sa connaissance de la situation exclut sa bonne foi (Cass. 3e civ., 25 juin 1975, n° 74-10.397, Bull. III n° 217 ; Cass. 3e civ. 30 nov. 1994, n°92-18.934).
C’est ce qui a été jugé en l’espèce. La cour d’appel ne pouvait donner la préférence au preneur titulaire du bail le plus ancien. Elle aurait dû rechercher, comme il le lui était demandé, si les seconds preneurs, titulaires d’un bail enregistré, avaient connaissance de l’occupation des parcelles par un autre preneur en vertu du premier bail qui n’avait pas été enregistré.
Il faut donc retenir qu’entre titulaires de deux baux ruraux portant sur les mêmes biens, celui qui dispose d’un bail postérieur mais ayant acquis le premier date certaine, ne peut être préféré à celui dont le titre est antérieur que s’il est de bonne foi, c’est-à-dire s’il ignorait la situation au moment où il a conclu.
2 – Le preneur auteur d’une mise à disposition des biens loués au profit d’une société dont il n’est pas associé, procède-t-il à une cession prohibée de son bail ? Cass. 3e civ., 26 sept. 2024 n°23-12.967, n°514 FS-B ; Cass. 3e civ. 26 sept. 2024, n°23.13-893 n°515 FS-B ; Cass. 3e civ., 26 sept. 2024, n°23-14685, n°516 FS-B
L’article L. 411-37 du Code rural et de la pêche maritime permet au preneur associé d’une société à objet principalement agricole, de mettre à la disposition de celle-ci, pour une durée qui ne peut excéder celle pendant laquelle il reste titulaire du bail, tout ou partie des biens dont il est locataire, sans que cette opération puisse donner lieu à l’attribution de parts. Mais il doit, à peine de résiliation, continuer de se consacrer à la mise en valeur du bien loué mis à disposition, en participant sur les lieux aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l’importance de l’exploitation.
En cas de non-respect de ce texte, le bailleur peut obtenir la résiliation du bail à condition de démontrer qu’il subit un préjudice.
Récemment la Cour de cassation s’est prononcée sur le cas de preneurs ayant mis les biens loués à disposition d’une société dont ils ne sont pas associés, mais qui continuent à se consacrer à l’exploitation de ceux-ci. Elle a considéré qu’ils ne procèdent pas à une cession prohibée du bail au sens de l’article L 411-35 du Code rural et de la pêche maritime.
Le bailleur qui souhaite résilier le bail ne peut donc fonder son action en résiliation que sur l’article L 411-31, II, 3° du Code rural et doit par conséquent justifier de son préjudice.
3 – Transmission des baux ruraux de l’exploitant agricole en liquidation judiciaire : c’en est fini de la priorité au repreneur désigné par les bailleurs ! Cass. Com., 23 octobre 2024, n°23-50013
Dans un important arrêt, la Cour de cassation est revenue sur l’interprétation qu’elle donnait jusqu’ici des dispositions de l’article L 642-1 alinéa 3 du Code de commerce comme instaurant, en cas de mise en liquidation judiciaire du preneur à bail, une priorité au bénéfice du preneur choisi par le bailleur sur le repreneur ayant déposé une offre de reprise au tribunal de la procédure collective.
La Cour de cassation l’avait clairement jugé en 1993 en ces termes :
« après avoir énoncé, exactement, qu’en vertu de l’article 82 alinéa 3, de la loi du 25 janvier 1985, le tribunal ne peut attribuer un bail rural à un repreneur dont l’offre a été recueillie dans les conditions fixées aux articles 83, 84 et 85, qu’à défaut pour le bailleur de demander l’attribution du bail au preneur qu’il propose, et relevé qu’en l’espèce, les bailleurs avaient fait connaître leur volonté de voir les baux attribués à des preneurs proposés par eux, la cour d’appel en a justement déduit que le tribunal ne pouvait ordonner la cession des baux litigieux au repreneur choisi par lui, quel que puisse être l’intérêt pour le débiteur, les créanciers et le repreneur, de la cession arrêtée » (Cass. com., 30 nov. 1993, n° 91-20.358 : Bull. civ. IV, n°443 ; Cass. com., 9 juin 1998, n° 96-11.717 : Bull. civ. IV n°186, en cas de pluralité de droits au bail attribués respectivement aux preneurs proposés par les bailleurs).
Un arrêt rendu le 23 octobre 2024 revient sur cette solution.
Enonçant que l’alinéa 3 de l’article L 642-1 du code de commerce est sujet à interprétation, faute de préciser d’une part, ses modalités d’application en cas de pluralité de baux et, d’autre part, comment l’attribution du droit au bail au preneur désigné par le bailleur doit permettre la transmission de l’exploitation agricole en tant qu’entreprise, la Cour de cassation en déduit qu’il apparaît possible et souhaitable de l’interpréter en ce sens que le tribunal dispose d’un pouvoir d’apprécier l’offre ou la proposition qui répond le mieux aux objectifs énoncés à son alinéa 1er, que sont le maintien d’activités susceptibles d’exploitation autonome, de tout ou partie des emplois qui y sont attachés et l’apurement du passif.
Il faut retenir en revanche que cette solution n’est pas applicable lorsque l’ensemble est essentiellement constitué du droit à un unique bail rural car l’alinéa 3 de l’article L 642-1 ne nécessite alors aucune interprétation.
4 – Constructions édifiées sans l’accord du bailleur et prix du bail renouvelé : pas de double peine Cass. Civ. 3, 28 novembre 2024, n°23-17036
Au cours du bail à long terme qui leur a été consenti, les preneurs ont fait construire, sans l’autorisation du bailleur, divers bâtiments d’exploitation sur le fonds et ont également aménagé une chambre supplémentaire dans la maison d’habitation. Le bail rural a été plusieurs fois renouvelé par tacite reconduction par périodes de 9 ans. A l’occasion du dernier renouvellement, un litige a opposé bailleur et preneurs sur le prix du bail. Le bailleur a saisi le tribunal paritaire en fixation du prix du bail renouvelé et soutenu que ce prix devait tenir compte des constructions irrégulièrement réalisées par les preneurs avant le renouvellement du bail.
L’arrêt confirmatif de la cour d’appel a donné raison au bailleur.
Sur le pourvoi formé par les preneurs, la Cour de cassation a censuré les juges du fond.
Elle considère, sur le fondement des articles L. 411-12, L. 411-50, L. 411-69 et L. 411-73 du code rural et de la pêche maritime que les améliorations irrégulièrement apportées au fonds loué par le preneur, qui ne donneront lieu à aucune indemnisation de la part du bailleur lors de la sortie de ferme, ne peuvent être prises en considération pour la fixation du prix du fermage du bail renouvelé.
En effet, comme l’a écrit l’avocat général dans son avis publié, le fondement même de l’admission de la majoration du fermage est d’accorder une compensation au bailleur qui a dû supporter financièrement une charge.
Il ne saurait donc profiter de cette majoration dès l’instant où, bien que ces améliorations lui profitent, il n’aura jamais à indemniser les travaux réalisés sans son accord préalable.
Réciproquement le locataire, déjà sanctionné par la déchéance de tout droit à indemnité de sortie, ne saurait donc, de surcroît, subir une majoration de loyer lors du renouvellement du bail.
5 – Apport non autorisé du droit au bail à un GAEC : la prescription de l’action en résiliation du bail court du jour où l’infraction cesse – Civ 3, 12 décembre 2024 n°23-20354
Dans un arrêt du 1er février 2018, la Cour de cassation avait, au visa des articles L. 411-31, II, 1° et L. 411-35 du code rural et de la pêche maritime ensemble l’article 2224 du code civil, censuré un arrêt qui avait déclaré prescrite l’action en résiliation de bail exercée par un bailleur qui avait eu connaissance, plus de cinq ans avant d’agir, de ce que ses terres n’étaient plus exploitées par le preneur mais par un tiers (Cass. 3e civ., 18 févr. 2018, n°16-18.724 : Bull. civ. III, n° 11).
Faisant application de cette solution, la Cour de cassation a considéré que le point de départ de l’action en résiliation du bail rural pour apport du droit au bail à une société sans l’agrément du bailleur, constitutif d’une cession prohibée, se situe au jour où cette infraction a cessé.
Il en résulte une imprescriptibilité de fait de l’action en résiliation. Car sauf pour la sous-location, à laquelle le preneur peut mettre fin en cours de bail, la cession ou l’apport, qui consacrent un changement définitif d’exploitant, ne peuvent cesser qu’à la disparition du bail lui-même, laquelle marquera donc le point de départ du délai quinquennal.