Le président d’une chambre de l’instruction ne peut refuser la communication de pièces de la procédure aux parties civiles, qu’en cas de risque de pression sur les témoins, les victimes, les personnes qui sont parties à la procédure ou qui y concourent, sous peine de commettre un excès de pouvoir.
L’article 114 du code de procédure pénale organise, en ses alinéas 5 à 9, les conditions dans lesquelles une reproduction de pièces ou actes de la procédure d’information peut être remise par le conseil d’une partie à son client.
Dans sa version actuellement en vigueur, il dispose que :
« Lorsque la copie a été directement demandée par la partie, celle-ci doit attester par écrit avoir pris connaissance des dispositions du sixième alinéa du présent article et de l’article 114-1. Lorsque la copie a été demandée par les avocats, ceux-ci peuvent en transmettre une reproduction à leur client, à condition que celui-ci leur fournisse au préalable cette attestation.
Seules les copies des rapports d’expertise peuvent être communiquées par les parties ou leurs avocats à des tiers pour les besoins de la défense.
Lorsque la copie a été demandée par l’avocat, celui-ci doit, le cas échéant, donner connaissance au juge d’instruction, par déclaration à son greffier ou par lettre ayant ce seul objet et adressée en recommandé avec accusé de réception, de la liste des pièces ou actes dont il souhaite remettre une reproduction à son client.
Le juge d’instruction dispose d’un délai de cinq jours ouvrables à compter de la réception de la demande pour s’opposer à la remise aux parties de tout ou partie des copies demandées ou de leurs reproductions par une ordonnance spécialement motivée au regard des risques de pression sur les victimes, les personnes mises en examen, leurs avocats, les témoins, les enquêteurs, les experts ou toute autre personne concourant à la procédure.
Cette décision est notifiée par tout moyen et sans délai aux parties ou à leurs avocats, qui peuvent, dans les deux jours de sa notification, déférer la décision du juge d’instruction au président de la chambre de l’instruction, qui statue dans un délai de cinq jours ouvrables par une décision écrite et motivée, non susceptible de recours. Lorsque la copie a été demandée par l’avocat, à défaut de réponse notifiée dans le délai imparti, l’avocat peut communiquer à son client la reproduction des pièces ou actes mentionnés sur la liste » (al. 5 à 9).
Jusqu’à la loi n° 96-1235 du 30 décembre 1996, l’article 114 du code de procédure pénale prévoyait que les avocats des parties pouvaient se faire délivrer, à leurs frais, copie de tout ou partie des pièces et actes du dossier pour leur usage exclusif et sans pouvoir en établir de reproduction.
La loi du 30 décembre 1996 a modifié l’article 114 pour prévoir la remise par le conseil d’une partie de pièces ou actes à son client.
Le texte a imposé :
- une attestation écrite établie par le client actant de ce qu’il a pris connaissance des dispositions prévoyant que seules les copies des rapports d’expertise peuvent être communiqués à des tiers pour les besoins de la défense et de l’article 114-1 du code de procédure pénale ;
- la communication par le conseil de la partie au juge d’instruction de la liste des pièces ou actes dont il souhaite remettre une reproduction à son client.
Il a octroyé au juge d’instruction un délai de cinq jours à compter de la réception de la demande pour s’opposer à cette remise par ordonnance spécialement motivée susceptible d’être déférée, dans les deux jours de sa notification, au président de la chambre de l’accusation qui statue dans un délai de cinq jours ouvrables par une décision écrite et motivée, non susceptible de recours.
Il a prévu enfin qu’à défaut de réponse notifiée dans le délai imparti, l’avocat peut communiquer à son client la reproduction des pièces ou actes mentionnés sur la liste.
L’économie de la communication de la reproduction des pièces ou actes par un avocat à son client est demeurée essentiellement la même. La loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 l’a incluse dans l’hypothèse où « la copie a été demandée par l’avocat », distinguée de celle où « la copie a été directement demandée par la partie ».
Concernant plus précisément le contenu de ces dispositions, il ressort en premier lieu de l’article 114 que l’avocat de la partie doit transmettre au juge d’instruction une liste de pièces ou actes dont il souhaite remettre une reproduction à son client.
Ainsi si l’avocat ne peut se borner à solliciter de façon générale la remise à son client de « l’entier dossier de l’information », il suffit que les pièces concernées puissent être identifiées, notamment par leur numérotation.
L’article 114 prévoit en outre expressément que la demande présentée par le conseil des parties peut être rejetée totalement ou partiellement.
Or, le motif de ce rejet total ou partiel est précisé par la loi : il ne peut s’agir que de l’existence de « risques de pression sur les victimes, les personnes mises en examen, leurs avocats, les témoins, les enquêteurs, les experts ou toute autre personne concourant à la procédure ».
Il s’agit du seul motif qui peut être invoqué par le juge d’instruction dans son ordonnance spécialement motivée (al. 8) mais aussi nécessairement par le président de la chambre de l’instruction dans sa décision écrite et motivée (al. 9).
Selon l’article 114 alinéa 9 du code de procédure pénale, la décision rendue par le président de la chambre de l’instruction auquel a été déférée la décision du magistrat instructeur rejetant la demande de transmission de copies des pièces aux parties est motivée et non susceptible de recours.
Cependant, la chambre criminelle réserve l’hypothèse dans laquelle cette décision est entachée d’excès de pouvoir, c’est-à-dire où le juge méconnaît l’étendue de ses pouvoirs. (Crim. 1er décembre 2015, n° 15-85.229 ; Crim., 4 mars 2015, pourvoi no 14-86.300).
Dans cette affaire qui a donné lieu à l’arrêt commenté (Crim. 29 janvier 2025, n° 24-80.565 à paraître sur Légifrance), les demandeurs au pourvoi parties civiles qui sont les grands-parents d’un jeune garçon né le 16 mars 2016 qui avait relaté avoir été victime de faits de viols de la part de deux hommes, ce qui avait donné lieu à l’ouverture successivement de deux informations judiciaires.
La jonction de ces deux procédures avait été demandée par les parties civiles, ce qui avait été refusé par le magistrat instructeur.
Le conseil des parties civiles avait alors sollicité l’autorisation du juge d’instruction de leur remettre les pièces numérisées des deux dossiers d’instruction et il avait fourni à cet effet à l’appui de sa demande deux attestations écrites des grands-parents reconnaissant avoir pris connaissance des dispositions de l’alinéa 6 de l’article 114 et de l’article 114-1 du code de procédure pénale, conformément à l’alinéa 5 de l’article 114.
Par deux ordonnances datées du 30 novembre 2023, rendues dans chacune des procédures d’information judicaire, le juge d’instruction avait rejeté ces demandes aux motifs qu’aucune liste de pièces n’était communiquée, qu’une expertise psychologique de l’enfant était en cours et qu’il y avait lieu de préserver tout risque d’influence dans le discours de l’enfant.
Après qu’il eut été procédé le 19 janvier 2024 à l’examen psychologique de l’enfant, le conseil des parties civiles avait sollicité à nouveau le 13 février 2024, l’autorisation de remettre à ces clients les pièces numérisées des deux dossiers d’instruction et dûment listées et avait fourni à l’appui de sa demande deux attestations.
Toutefois, par deux nouvelles ordonnances du 15 février 2024, rendues dans chacune des procédures d’instruction, le juge d’instruction avait rejeté à nouveau ces demandes, aux motifs que le rapport d’expertise n’avait été ni réceptionné, ni versé au dossier, que l’expertise de l’enfant était donc toujours en cours et qu’il y avait lieu de préserver tout risque d’influence dans le discours de l’enfant.
Les exposants avaient alors déféré ces deux ordonnances au président de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Bordeaux, qui par ordonnance du 6 mars 2024 rendue dans une deux procédures, avait déclaré recevable le recours des exposants et, constatant que le délai de cinq jours pour statuer était expiré, avait dit que le recours était devenu sans objet.
Dans ces conditions, le conseil des parties civiles avait été autorisé à communiquer aux exposants une reproduction des pièces listées dans cette procédure.
Concernant l’autre procédure, pour des raisons techniques dont le conseil des exposants ignorait la cause, le greffe de la chambre de l’instruction n’avait jamais reçu le mémoire adressé par le conseil des exposants demandant la communication des pièces.
Il avait dû donc saisir à nouveau le juge d’instruction d’une demande d’autorisation le 13 mars 2024 qui précisait les pièces sollicitées, demande que le juge d’instruction avait rejetée par ordonnance du 15 mars 2024, au motif qu’elle avait fait l’objet d’une ordonnance de rejet en date du 15 février 2024 et qu’aucun élément nouveau n’était justifié à l’appui de la demande. Il renvoyait donc aux motifs de cette précédente ordonnance.
Les exposants avaient ainsi été contraints une nouvelle fois de déférer cette ordonnance au président de la chambre de l’instruction et avaient transmis un mémoire par lequel ils demandaient son infirmation et l’autorisation de la remise aux grands-parents d’une reproduction de diverses pièces de cette seconde procédure.
Si par ordonnance du 20 mars 2024, le président de la chambre de l’instruction avait infirmé partiellement l’ordonnance du magistrat instructeur, il n’avait en revanche fait droit que partiellement à la demande de communication des pièces.
Estimant que le président de la chambre de l’instruction avait ainsi entaché sa décision d’un excès de pouvoir, les parties civiles avaient formé un pourvoi.
Les deux premières critiques portaient sur les motifs de l’ordonnance ayant rejeté la demande de transmission de certaines copies des pièces et de l’inventaire du dossier d’instruction dès lors que le président de la chambre de l’instruction avait retenu que la liste des pièces communiquées aux parties prévue à l’alinéa 7 de l’article 114 du code de procédure pénale ne pouvait concerner l’intégralité des éléments et qu’il appartenait au conseil des parties civiles de lister précisément les pièces de la cote dont il souhaitait la communication.
Le moyen soutenait que l’indication de numéros de cotes d’un dossier d’instruction constitue bien une liste de pièces ou actes et que le conseil des parties civiles ayant sollicité du juge d’instruction la remise de la reproduction des cotes D1 à D456, le président avait excédé ses pouvoirs en retenant qu’il n’avait pas listé précisément les pièces de la cote D dont il souhaitait la communication.
Dans un autre grief, était critiqué le motif selon lequel la demande ne pourrait porter sur l’intégralité de la cote D. En effet, l’alinéa 7 de l’article 114 du code de procédure pénale n’interdit pas au conseil d’une partie de solliciter la remise de la reproduction de la totalité des pièces cotées D au dossier d’instruction, pourvu qu’elles soient numérotées, ni n’impose au conseil de ne solliciter que quelques pièces cotées D.
Enfin étaient critiqués respectivement, le rejet de la demande de remise de la reproduction des cotes B et celui de la demande de remise des pièces de la cote C.
Le pourvoi faisait valoir également qu’il résulte de l’article 114 al. 8 du code de procédure pénale que le seul motif de rejet total ou partiel d’une demande de communication de copies de pièces du dossier d’information qui est prévu par la loi est le risque de pression sur les victimes, les personnes mises en examen, leurs avocats, les témoins, les enquêteurs, les experts ou toute autre personne concourant à la procédure. Or, le président avait fondé le rejet sur des motifs étrangers à ce risque tenant respectivement à l’absence d’intérêt procédural de pièces pour les parties civiles.
Si elle a écarté les autres critiques portant sur le rejet de la demande de remise par l’intermédiaire de l’avocat de la copie des pièces de la cote C relatives à la détention provisoire et au contrôle judiciaire de la personne poursuivie, dès lors que ce refus était fondé sur le risque de pression, motif prévu par l’article 114 alinéa 9 du code de procédure pénale, en revanche la chambre criminelle a retenu l’existence d’un excès de pouvoir et cassé et annulé partiellement l’ordonnance attaquée.
Au visa de l’article 114 alinéas 8 à 10, la chambre criminelle a rappelé que :
« Selon ce texte, l’avocat qui souhaite communiquer à son client une reproduction de la copie de la procédure d’information doit en informer le juge d’instruction et lui indiquer la liste des pièces concernées. Le juge d’instruction peut s’opposer à cette communication par une ordonnance spécialement motivée au regard des risques de pression sur les victimes, les parties à la procédure ou les personnes qui y concourent. Sa décision est susceptible de recours devant le président de la chambre de l’instruction qui statue par une ordonnance non susceptible de recours, sauf si elle fait apparaître un risque d’excès de pouvoir. Tel est le cas lorsque le président de la chambre de l’instruction ne justifie pas le refus de communication d’une pièce de la procédure par un risque de pression qu’il doit caractériser.
- Pour rejeter la demande de l’avocat tendant à la communication à ses clients, parties civiles, de la reproduction de pièces de la procédure figurant à la cote des pièces de fond, intitulée cote D, la décision attaquée énonce qu’une telle demande doit comporter la liste des pièces concernées et ne peut porter, sans distinction, sur l’intégralité de la cote de fond de la procédure.
- Pour rejeter cette même demande en ce qu’elle vise certaines pièces de procédure, figurant à la cote des pièces de renseignements de personnalité, intitulée cote B, le juge ajoute que seules certaines des pièces figurant à cette cote présentent un intérêt pour les parties civiles.
- En refusant ainsi la communication de pièces de la procédure aux parties civiles, pour des motifs étrangers au risque de pression sur les témoins, les victimes, les personnes qui sont parties à la procédure ou qui y concourent,
le président de la chambre de l’instruction a excédé ses pouvoirs ».
La chambre criminelle a donc procédé à une application stricte des al. 7 et 8 de l’article 11. Et, cette décision doit être signalée dès lors que la jurisprudence est assez rare sur ce point, du fait de l’absence de recours possible contre l’ordonnance du président, sauf excès de pouvoir.