Ce qui est exécutoire… peut être exécuté

Fabrice Sebagh

Suivant quelles modalités la période d’indemnisation du préjudice né de l’illégalité fautive d’un arrêté municipal ayant déclaré caducs deux permis de construire, est-elle déterminée ? C’est la question à laquelle le Conseil d’Etat a répondu très récemment dans un arrêt du 12 juin 2025 (n°495398 à paraitre sur Légifrance).

En l’espèce, la responsabilité d’une collectivité avait été reconnue par un arrêt de Cour administrative d’appel pour avoir déclaré caducs deux permis de construire. La société dont les permis avaient été déclarés caducs, soutenait qu’elle avait dû attendre, par mesure de prudence, la fin de la période ouverte par le pourvoi en cassation pour reprendre le chantier.

La collectivité soutenait de son côté que le pourvoi en cassation étant dépourvu d’effet suspensif, et en l’absence de sursis à exécution, l’arrêt de la cour administrative d’appel pouvait donc être exécuté (v. par ex. CE, 26 juillet 1991, Mme Berque, n° 79217 ; 2 novembre 2015, M. Ajalbert, n° 369983, pt. 4).

Dès lors que la société pouvait l’exécuter même si elle n’était pas tenue de le faire, la période d’indemnisation devait cesser à la date de la notification de l’arrêt.

Sur cette question la jurisprudence n’était pourtant pas univoque.

Deux tendances apparaissaient dans les décisions relatives à l’indemnisation des préjudices économiques causés par les décisions ayant illégalement accordé, refusé d’accorder ou, prononcé le retrait de permis de construire.

Dans un arrêt du 10 juillet 2018, une cour administrative d’appel a inclus dans la période d’indemnisation la totalité de la durée de la procédure juridictionnelle relative à la contestation pour excès de pouvoir du retrait, et ce faisant, la cour a validé le raisonnement de la société qui soutenait qu’« elle [avait] été contrainte d’attendre l’issue de la procédure jusqu’au Conseil d’Etat pour commercialiser ses biens » (CAA Marseille, 9ème chambre, 10 juillet 2018, SCI Canferin, n° 16MA02556).

D’un autre côté, d’autres décisions, plus fréquentes, fixent la fin de la période d’indemnisation à la date de notification du jugement ou de l’arrêt ayant annulé la décision administrative litigieuse (CE, 24 octobre 1990, SCI « Le Grand Large », n° 52874 ; CAA Marseille, 1ère chambre, 16 décembre 2015, SCI du quartier de l’Eure, n° 13MA04757).

C’est en ce sens que s’est prononcé le Conseil d’Etat :

« 5. En troisième lieu, cependant, en jugeant que la société E était fondée à demander l’indemnisation du préjudice subi du fait de l’interruption des travaux pour la période comprise entre le 9 décembre 2019, date à laquelle elle avait reçu notification de l’arrêt du 4 décembre 2019 de la cour administrative d’appel de Versailles annulant l’arrêté municipal du 27 juin 2017 déclarant la caducité des permis de construire des 13 mai 2004 et 31 mai 2010 et celle à laquelle expirait le délai ouvert à la commune de R pour se pourvoir en cassation contre cet arrêt, aux motifs que le pourvoi en cassation n’étant pas suspensif, la société E était fondée à soutenir qu’elle devait, par mesure de prudence, attendre la fin de la période ouverte pour le pourvoi en cassation pour reprendre les travaux alors que cette société s’était trouvée en mesure de mettre en œuvre les permis de construire dont elle bénéficiait à compter de la date de cette notification, la cour administrative d’appel de Paris a commis une erreur droit ».

Il en résulte qu’il n’est pas possible de se prévaloir d’une volonté de prudence pour étendre artificiellement un préjudice.

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