Contrôle d’une demande d’exéquatur d’une sentence arbitrale impliquant une personne morale de droit public française

Fabrice Sebagh

Dans un arrêt du 17 octobre destiné à la plus large publication, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur l’office du juge administratif saisi d’une demande d’exéquatur d’une sentence arbitrale impliquant une personne morale de droit public française (CE 17 octobre 2023, Req. n°465761).

A l’origine de cette décision, se trouve un conflit vieux d’une dizaine d’années entre un syndicat mixte en charge de la gestion d’un aéroport régional et une compagnie aérienne irlandaise.

Au cœur de leur litige, la convention qu’ils ont conclue, aux termes de laquelle la compagnie s’engageait à assurer trois liaisons par semaine entre l’Angleterre et l’aéroport en cause en contrepartie de réductions sur les redevances aéroportuaires au cours des trois premières années d’exécution du contrat. Par une seconde convention, une filiale de la compagnie aérienne s’engageait à faire, sur le site internet de la compagnie, la promotion du département, moyennant le versement par le syndicat mixte d’une somme totale de près d’un million d’euros sur les trois premières années d’exécution du contrat.

Après deux ans d’exécution du contrat, la compagnie a sollicité des conditions plus avantageuses, arguant du contexte économique difficile, ce que le syndicat a refusé.

C’est dans ces conditions que la compagnie a résilié unilatéralement le contrat la liant au syndicat. Ce dernier a donc saisi la juridiction administrative pour réclamer l’indemnisation de son préjudice. Par un arrêt devenu définitif en date de 2016, la cour administrative d’appel de Bordeaux a estimé que le litige en cause relevait de la compétence d’un arbitre, en application d’une clause compromissoire figurant au contrat.

Dans le même temps, les sociétés ont justement saisi la juridiction arbitrale désignée au contrat qui s’est d’abord déclarée compétente puis a considéré que le contrat de service aéroportuaire avait été valablement résilié et mis en conséquence à la charge du syndicat mixte les frais d’arbitrage.

Le Conseil d’État a d’abord rejeté les requêtes du syndicat tendant à l’annulation des sentences arbitrales ainsi prononcées aux motifs qu’une juridiction française n’a pas compétence pour se prononcer sur la décision d’une juridiction étrangère.

Parallèlement, le Tribunal administratif de Poitiers, puis la cour administrative d’appel de Bordeaux, ont rejeté la demande des sociétés tendant à ce qu’ils ordonnent l’exéquatur des sentences arbitrales.

C’est l’arrêt sur lequel le Conseil d’État a été appelé à se prononcer.

Avant d’exposer la solution qu’il a retenue, il faut d’abord rappeler les règles applicables au recours par les personnes morales de droit public à l’arbitrage.

Dans une conférence en date de 2009, Jean-Marc Sauvé rappelait que ce recours faisait l’objet d’une interdiction de principe dans les termes suivants :

« Du fait de ces origines, et de sa nature même de justice conventionnelle, l’arbitrage semble ainsi, par nature, étranger aux personnes publiques. L’état du droit, affirmé par l’avis adopté par l’assemblée générale du Conseil d’État le 6 mars 1986, est d’ailleurs en ce sens : en principe, les personnes publiques, y compris celles exerçant une activité industrielle ou commercial), ne peuvent recourir à l’arbitrage, ni par la voie du compromis, ni par celle de la clause compromissoire, ni pour les litiges de nature commerciale, ni pour ceux qui sont de nature administrative ».

Toutefois ce principe d’interdiction s’applique « sauf dérogation prévue par des dispositions législatives expresses ou, le cas échéant, des stipulations de conventions internationales régulièrement incorporées dans l’ordre juridique interne » (CE, Assemblée générale, avis, 6 mars 1986, n° 339710, Eurodisney ; CE, 23 décembre 2015, Territoire des Iles Wallis et Futuna, n° 376018, p. 484).

Si Jean-Marc Sauvé appelait de ses vœux, l’extension du recours à l’arbitrage par les personnes morales de droit public, il définissait aussi le cadre dans lequel une telle extension pourrait survenir : « L’arbitrage doit ensuite être assorti des garanties inhérentes à sa nature juridictionnelle, à plus forte raison dès lors qu’il implique une ou plusieurs personnes morales de droit public, pour lesquelles la règle de droit est, de manière générale, d’ordre public ».

Quelques années après, dans un arrêt dit « FOSMAX » du 9 novembre 2016, le Conseil d’État a défini le contrôle que le juge doit opérer lorsqu’il est saisi directement d’une sentence arbitrale rendue en France ou d’une demande d’exequatur d’une sentence arbitrale étrangère.

Il lui revient, en premier lieu, de s’assurer que le litige pouvait bien faire l’objet d’un arbitrage. Il n’exerce ensuite, sur la sentence arbitrale, qu’un contrôle restreint à certains points.

En l’espèce, au terme du contrôle ainsi opéré, la cour administrative d’appel de Bordeaux (contrairement à ce qu’elle avait jugé en 2016), a considéré que la clause compromissoire était illicite, aucune stipulation internationale ni aucune disposition interne n’autorisant le syndicat mixte à déroger à l’interdiction de principe pour les personnes publiques de recourir à l’arbitrage.

Saisi de différents moyens, le Conseil d’Etat considère, d’une part, que le seul fait qu’un contrat soit conclu par une personne publique pour les besoins du commerce international, ne suffit pas à déroger au principe d’interdiction rappelé ci-dessus.

Il constate, d’autre part, que la Convention européenne sur l’arbitrage commercial international du 21 avril 1961 ne s’applique qu’aux personnes morales ayant leur siège dans les Etats contractants, de sorte la société requérante dont le siège est en Irlande, Etat qui n’est pas partie à ladite convention, ne pouvait s’en prévaloir pour affirmer que le syndicat pouvait déroger au principe d’interdiction du recours à l’arbitrage.

Il juge, enfin, que le litige soumis à la cour internationale d’arbitrage de Londres n’étant pas arbitrable, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que la cour aurait méconnu leur droit, garanti par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, à l’exécution des sentences arbitrales rendues les 22 juillet 2011 et 18 juin 2012.

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