Droit de se taire et contentieux disciplinaire

Olivia Feschotte-Desbois

La présente affaire (CE 20 juin 2025, Req. n°495515) fournit une illustration de l’application en matière de procédure disciplinaire, d’une jurisprudence récente relative au droit de se taire.

Découlant du principe selon lequel « nul n’est tenu de s’accuser », rattaché à l’article 9 de la Déclaration de 1789,  le droit de se taire , déjà consacré en matière pénale, a été étendu par le Conseil constitutionnel « à toute sanction ayant le caractère d’une punition ».

Dans différents cas, le Conseil constitutionnel a affirmé que les sanctions disciplinaires font partie de cette catégorie :

  • Décision n° 2023-1074 QPC du 8 décembre 2023 pour les notaires,
  • QPC n° 2024-1105 du 4 octobre 2024 pour les fonctionnaires de l’Etat
  • QPC n°2024-1108 du 18 octobre 2024 pour les membres des chambres régionales des comptes.

Prenant acte de ces décisions, le 19 décembre 2024 (req. n°490157), le Conseil d’Etat a fixé les modalités d’application de ce droit, s’agissant des procédures dirigées contre des agents publics :

« De telles exigences impliquent que l’agent public faisant l’objet d’une procédure disciplinaire ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire. A ce titre, il doit être avisé, avant d’être entendu pour la première fois, qu’il dispose de ce droit pour l’ensemble de la procédure disciplinaire. Dans le cas où l’autorité disciplinaire a déjà engagé une procédure disciplinaire à l’encontre d’un agent et que ce dernier est ensuite entendu dans le cadre d’une enquête administrative diligentée à son endroit, il incombe aux enquêteurs de l’informer du droit qu’il a de se taire. En revanche, sauf détournement de procédure, le droit de se taire ne s’applique ni aux échanges ordinaires avec les agents dans le cadre de l’exercice du pouvoir hiérarchique, ni aux enquêtes et inspections diligentées par l’autorité hiérarchique et par les services d’inspection ou de contrôle, quand bien même ceux-ci sont susceptibles de révéler des manquements commis par un agent ».

Il s’est aussi prononcé sur les conséquences de la méconnaissance du droit de se taire :

« Dans le cas où un agent sanctionné n’a pas été informé du droit qu’il a de se taire alors que cette information était requise (…), cette irrégularité n’est susceptible d’entraîner l’annulation de la sanction prononcée que lorsque, eu égard à la teneur des déclarations de l’agent public et aux autres éléments fondant la sanction, il ressort des pièces du dossier que la sanction infligée repose de manière déterminante sur des propos tenus alors que l’intéressé n’avait pas été informé de ce droit ».

Autrement dit, l’absence d’information de l’agent quant à son droit, ne suffit pas à elle seule à vicier la procédure. Encore faut-il démontrer que la sanction repose principalement sur les déclarations obtenues en violation de ce droit, et non sur d’autres éléments du dossier.

Comme l’expose la rapporteure publique Mme Maïlys Lange dans ses conclusions sur la décision précitée :

« En effet, si rien n’est véritablement découvert, si les propos tenus ne dévoilent rien d’autre que ce qui était déjà connu ou même seulement suspecté, mais qui peut être également confirmé par des éléments objectifs ou des témoignages présents au dossier, la garantie découlant du droit se taire dans l’acception que nous vous en avons proposée n’est pas méconnue ».

Ainsi, dans la veine de la jurisprudence Danthony, selon laquelle un vice « n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie », il faut ici démontrer que la méconnaissance du droit de se taire a eu une influence sur la décision de sanction (CE, ass., 23 déc. 2011, n° 335033).

Dans l’affaire ici présentée, le président d’une communauté de communes avait, par arrêté du 5 avril 2024, infligé à l’un de ses agents d’entretien et d’exploitation de la voirie, une sanction d’exclusion de fonctions pour une durée de deux ans. Par une ordonnance du 13 mai 2024, le juge des référés avait, sur la demande de l’agent, suspendu l’exécution de cette décision faute pour la communauté de communes de préciser, parmi les griefs mentionnés dans la saisine du conseil de discipline, ceux de ces griefs qu’elle avait en définitive retenus à l’appui de la sanction.

Par un arrêté du 15 mai 2024, le président de la communauté de communes a, d’une part, retiré la décision ainsi suspendue et, d’autre part, infligé de nouveau à l’agent une sanction d’exclusion de fonctions pour une durée de deux ans.

Cette fois, le juge des référés a rejeté la demande de suspension formée par l’agent qui a donc saisi le Conseil d’Etat d’un pourvoi contre cette nouvelle ordonnance.

Entre autres arguments, l’agent sanctionné invoquait le fait qu’il n’avait pas été informé de son droit de se taire.

Le Conseil d’Etat faisant application de sa jurisprudence a considéré que :

« il ne ressort pas des pièces du dossier soumis au juge des référés que la sanction qui lui a été infligée reposerait de manière déterminante sur les propos qu’il y a tenus. Par suite, c’est par une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation, et sans erreur de droit, que le juge des référés a pu juger que le moyen tiré de ce que M.X n’avait pas été informé du droit qu’il avait de se taire lors de cette audition n’était pas, en l’état de l’instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée ».

Il a donc rejeté le moyen soulevé par l’agent. Puis opérant un contrôle classique sur les décisions de référé en matière de sanction disciplinaire, il a rejeté le recours.

Le droit de se taire continue d’étendre son champ d’application en matière disciplinaire.

Le Conseil constitutionnel vient d’ailleurs de l’étendre à la procédure de sanction disciplinaire suivie devant la CNIL (décision 2025-1154 QPC du 8 août 2025), tout comme à la personne mise en cause devant la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers, ou son représentant (décision 2025-1164 QPC du 26 septembre 2025).

En revanche, le Conseil constitutionnel a décidé que le droit de se taire ne pouvait s’étendre à la procédure disciplinaire et aux sanctions qui peuvent être prises dans le cadre de relations de droit privé régies par le code du travail (décision QPC 2025-1160, 1161 et 1162 du 19 septembre 2025).

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