Que se passe-t-il lorsque les documents d’urbanisme, à l’aune desquels une demande d’autorisation de construire doit être examinée, sont contradictoires et modifiés en cours de procédure ? L’autorisation peut-elle être régularisée ?
Une récente affaire permet de rappeler les règles applicables à ce type de situations (CE 30 déc. 2024, Req. n°491522).
Une SCI avait obtenu un permis de construire par arrêté du 14 février 2022 pour réaliser une extension de 125,91 m2 de surface de plancher à la construction existante – en l’occurrence, un phare.
Il se trouve que ce phare avait été identifié et localisé par le plan de zonage du plan local d’urbanisme intercommunal comme élément de patrimoine 3 étoiles. En revanche, le règlement écrit l’identifiait en 2 étoiles.
Cette qualification fait référence au souhait de la commune concernée, de recenser les bâtis les plus typiques du patrimoine balnéaire afin de les inscrire dans le document de planification.
Les éléments sont ainsi protégés selon une hiérarchisation et le classement suivant :
3 étoiles = exceptionnels,
2 étoiles = remarquables
1 étoile = de qualité
Par ailleurs, alors que le règlement en question autorisait les extensions pour les bâtiments classés 2 étoiles, il les interdisait pour les bâtiments classés 3 étoiles.
Cette divergence a été corrigée au mois d’avril 2023, après que les voisins du projet eussent formé un recours gracieux tendant au retrait dudit permis de construire.
A la suite du refus du Maire de faire droit à leur demande, ils ont saisi le Tribunal administratif qui a annulé le permis en cause.
La commune et la SCI ont alors saisi le Conseil d’Etat d’un recours en cassation contre cette décision.
Pour accueillir par jugement du 5 décembre 2023, la demande d’annulation formée par les voisins du projet, le Tribunal administratif avait relevé que si le phare avait été reclassé en bâtiment deux étoiles dans le plan local d’urbanisme, d’autres bâtiments autour avaient été, eux, reclassés en 3 étoiles. Pour lui, la régularisation du vice était « susceptible » d’impliquer de revoir l’économie générale du projet en cause et dès lors de lui apporter, dans son ensemble, s’agissant de sa volumétrie, de son aspect et de sa superficie, un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même.
Le Tribunal avait ici fait application de la jurisprudence du Conseil d’Etat relative à la régularisation des autorisations d’urbanisme prévues par les articles L 600-5 et L 600-5-1 du Code de l’urbanisme (Avis CE, Barrieu, 2 octobre 2020, n° 438318, BJDU 1/2021, p. 50, concl. O. Fuchs, obs. F.P.).
Cette solution, qui a été dégagée pour l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, est également applicable pour l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme (CE, 10 novembre 2021, commune de Val d’Isère, n° 439.966 ; v. également : CE, 19 juillet 2022, commune de Yerres, n° 449.111).
Le juge est donc désormais tenu de rechercher si l’autorisation d’urbanisme est susceptible d’être régularisée sur le fondement soit de l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme, soit de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme.
Par ailleurs, s’agissant des vices entachant le bien-fondé du permis de construire, le juge doit se prononcer sur leur caractère régularisable au regard des dispositions en vigueur à la date à laquelle il statue et constater, le cas échéant, qu’au regard de ces dispositions le permis ne présente plus les vices dont il était entaché à la date de son édiction (CE, 3 juin 2020, Société Alexandra, n° 420736, aux T.).
Dans notre affaire, le Tribunal avait retenu une simple potentialité de remise en cause de l’économie générale du projet en cause et dès lors de lui apporter un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même.
Or tel n’est pas le critère de la jurisprudence Barrieu qui exige de caractériser le bouleversement effectif et nécessaire du projet qu’engendrerait la mesure de régularisation envisagée, et pas un simple risque d’un tel bouleversement.
C’est ainsi que le Conseil d’Etat a estimé que le tribunal avait commis une erreur de droit en s’abstenant de rechercher «si les règles applicables aux éléments de patrimoine s’opposaient nécessairement à l’extension d’une maison d’habitation classée dans la catégorie « deux étoiles » se trouvant dans le périmètre de protection des éléments de patrimoine classés dans la catégorie « trois étoiles » (CE 30 décembre 2024, Req. n°491522).
Il a donc renvoyé l’affaire devant le Tribunal administratif.