L’intérêt donnant qualité pour contester un permis de construire : une illustration en cassation

Fabrice Sebagh

Par un arrêté du 21 juin 2018, le maire de Nîmes a délivré à une société un  permis  de  construire  une  maison  individuelle  et  un  garage.  A la suite du rejet de leur demande d’annulation dudit arrêté devant le Tribunal administratif, les voisins de ce projet ont saisi la  cour administrative d’appel de Marseille qui a accédé à leur demande.

Plus précisément, la cour a retenu que le maire avait entaché son arrêté d’une erreur manifeste d’appréciation pour ne pas avoir opposé un sursis à statuer à la demande de permis de construire.

La société a formé un pourvoi contre cette décision estimant que l’arrêt était entaché d’erreur de droit et d’erreur de qualification juridique pour avoir retenu que les défendeurs avaient un intérêt à agir contre le permis de construire critiqué.

A l’issue  de  la  procédure  d’admission,  et à la suite d’une audience d’admissibilité, le  pourvoi a été mis à l’instruction.

La solution de cet arrêt est classique mais permet de revenir utilement sur les règles applicables à l’intérêt à agir en droit de l’urbanisme et sur le contrôle du juge de cassation en la matière, mais aussi sur le pouvoir d’évocation du juge de cassation après annulation d’une décision frappée de pourvoi (CE 19 janvier 2024, Req. n°469266).

Au soutien de son pourvoi, la société affirmait que les consorts L. n’avaient jamais démontré en quoi la construction autorisée les affectait directement dans les conditions de jouissance de leur bien.

Selon les termes de l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme, une personne autre  que  l’Etat,  les  collectivités  territoriales  ou  leurs  groupements  ou  une  association  n’est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager que si la construction, l’aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe  régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une  promesse de vente,  de bail, ou d’un contrat  préliminaire  mentionné  à  l’article  L.  261-15  du  code  de  la  construction  et  de l’habitation.

Le Conseil d’Etat rappelle donc dans un considérant particulièrement pédagogique conforme à sa jurisprudence du 13 avril 2016 Bartholomé (publié au Recueil, req. n° 389798) le rôle respectif des parties et du juge, s’agissant de l’appréciation de l’intérêt à agir :

« Il résulte de ces dispositions qu’il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d’un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager, de préciser l’atteinte qu’il invoque pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien.

Il appartient au défendeur, s’il entend contester l’intérêt  à  agir  du  requérant,  d’apporter  tous  éléments  de  nature  à  établir  que  les atteintes  alléguées  sont  dépourvues  de  réalité. 

Le  juge  de  l’excès  de  pouvoir  apprécie  la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu’il jugerait insuffisamment étayées, mais sans pour autant exiger de l’auteur  du  recours  qu’il  apporte  la  preuve  du  caractère  certain  des  atteintes  qu’il  invoque  au soutien  de  la  recevabilité  de  celui-ci.  Eu  égard  à  sa  situation  particulière,  le  voisin  immédiat justifie,  en  principe,  d’un  intérêt  à  agir  lorsqu’il  fait  état  devant  le  juge,  qui  statue  au  vu  de l’ensemble  des  pièces  du  dossier,  d’éléments  relatifs  à  la  nature,  à  l’importance  ou  à  la localisation du projet de construction ».

En l’espèce,   la cour administrative d’appel de Marseille avait considéré que les consorts L, voisins du projet, avaient notamment fait état d’un litige portant sur la détermination d’une servitude de passage sur leur fonds au bénéfice du pétitionnaire et, d’autre part, que la  projet était  de  nature  à  porter  atteinte  aux conditions de jouissance de leur propriété, notamment à leur vue et à leur tranquillité.

Pour annuler l’arrêt attaqué, le Conseil d’Etat relève :

« Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond et notamment des différents mémoires produits par M. et Mme L, tant en première instance qu’en appel, que les intéressés se sont bornés à faire état de la proximité immédiate de leur propriété avec celle du projet, ainsi que de l’existence d’un litige de bornage avec leur voisin. En se fondant, ainsi, d’une part, sur un litige judiciaire sans lien avec la nature, l’importance ou la localisation du projet de construction, et, d’autre part, sur  des  éléments  relatifs  aux  conditions  de  jouissance  de  leur  bien  par  M.  et Mme L dont les intéressés ne faisaient nullement état dans leurs écritures, la cour a entaché son  arrêt  d’erreur  de  droit ».

L’intérêt à agir est une notion contrôlée par le juge de cassation sous le timbre de l’erreur de qualification juridique des faits.

Ce degré de contrôle implique que le juge de cassation, sur la base des constatations des juges du fond, vérifie l’exactitude de la qualification retenue par ces derniers. S’il ne l’approuve pas, la cassation est encourue. Il n’y a pas de pouvoir souverain d’appréciation de l’intérêt à agir, du moins à partir des faits constatés par l’arrêt.

Ce type de contrôle n’exclut pas cependant d’autres cas d’ouverture à cassation.

Notre arrêt en témoigne qui prononce une cassation pour erreur de droit.

En effet, ce qui a valu à la cour la censure de cet arrêt n’est pas d’avoir erré dans l’opération de qualification de l’intérêt à agir, mais d’y avoir mêlé des considérations étrangères à la règle appliquée, à savoir, d’une part, la mention d’un litige judiciaire sans lien avec la nature, l’importance ou la localisation du projet de construction, et d’autre part, des éléments d’argumentation dont ne s’étaient pas prévalus les demandeurs à l’annulation du permis.

C’est cette double erreur de méthodologie, relevant de l’erreur de droit, qui entraîne la cassation.

Une fois l’arrêt annulé, le juge de cassation s’est estimé en mesure de mettre fin au litige : puisque les demandeurs à l’annulation du permis, quoique voisins immédiats, n’avaient pas proposé de démontrer en quoi, conformément à la jurisprudence Bartholomé, la nature, l’importance ou la localisation du projet de construction leur conférait un intérêt à agir, il ne restait plus qu’à constater que cet intérêt à agir n’était pas caractérisé et les débouter définitivement de leur requête :

« M. et Mme A… ne font pas état d’éléments relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction de nature à justifier d’une atteinte susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de leur propriété. Par ailleurs, la commune de Nîmes a soutenu, sans être contredite, que le projet, objet du permis de construire, n’est pas susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de leur bien par M. et Mme A…, compte tenu notamment des protections végétalisées séparant les deux terrains. »

 

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