Après le procès en appel du volet financier de l’affaire Karachi qui s’est tenu au mois de juin dernier, c’est le volet relatif à la sécurité des salariés qui est revenu en septembre devant la Cour de cassation.
Pour mémoire, le 8 mai 2002, un bus transportant des salariés de la Direction des constructions navales internationales (DCNI) explosait à Karachi au Pakistan et faisait quinze morts, dont onze Français. Cette attaque n’est pas revendiquée. Si la piste d’Al-Qaïda est d’abord privilégiée, une deuxième hypothèse apparaît ensuite : les services secrets pakistanais se seraient vengés de l’arrêt du versement de commissions promises par la France, en échange de l’achat de sous-marins par le Pakistan en 1994.
Cette affaire comporte plusieurs volets.
Un volet financier, le plus médiatisé, dont il ne sera pas question ici.
Un volet relatif aux commanditaires et aux exécutants de l’attentat. A ce titre, une information judiciaire a été ouverte en 2002, des chefs d’assassinats et de tentatives d’assassinats en relation avec une entreprise terroriste à la section anti-terroriste du tribunal de grande instance de Paris. Mais à ce jour, les responsables n’ont pas été identifiés.
Et un volet relatif à la sécurité des salariés : En 2011, plusieurs victimes de l’attentat de Karachi ont déposé une plainte des chefs de coups et blessures involontaires visant la DCN et deux de ses anciens responsables. Ils faisaient valoir que leur employeur avait « la qualité d’auteur indirect du dommage causé par l’attentat pour n’avoir pas pris les mesures adéquates qui auraient permis de l’éviter, en parfaite connaissance des risques prégnants de l’époque ».
Les victimes leur reprochent en effet d’avoir sous-estimé les risques d’attaques qui planaient sur les salariés dans un contexte sécuritaire très dégradé du fait des attentats du 11 septembre 2001 et d’avoir ainsi failli à les protéger.
Les deux anciens responsables de la DCN (devenue NAVAL GROUP), M. Y et M. C, mis en examen des chefs d’homicides et de blessures involontaires en 2022, ont sollicité que soit constatée la prescription de cette dernière action. Après que leur demande ait été rejetée en première instance, la Chambre de l’instruction a fini par y accéder en 2023.
Elle a considéré pour cela, que la connexité alléguée par les parties civiles et le ministère public entre l’attentat et les éventuelles inobservations ou fautes commises par les responsables de la DCN n’était pas suffisamment caractérisée et que les faits d’homicides involontaires et de blessures involontaires étaient donc prescrits lors de l’ouverture de l’information les concernant le 30 mai 2012.
C’est contre cette décision se sont pourvues les parties civiles.
La Cour de cassation devra donc se prononcer sur l’appréciation faite par la Chambre de l’instruction des critères de connexité tels que définis par la loi et la jurisprudence.
Pour mémoire en effet, l’article 203 du Code de procédure pénale dispose :
« Les infractions sont connexes soit lorsqu’elles ont été commises en même temps par plusieurs personnes réunies, soit lorsqu’elles ont été commises par différentes personnes, même en différents temps et en divers lieux, mais par suite d’un concert formé à l’avance entre elles, soit lorsque les coupables ont commis les unes pour se procurer les moyens de commettre les autres, pour en faciliter, pour en consommer l’exécution ou pour en assurer l’impunité, soit lorsque des choses enlevées, détournées ou obtenues à l’aide d’un crime ou d’un délit ont été, en tout ou partie, recelées ».
Le législateur a ainsi prévu quatre hypothèses de connexité en présence d’infractions commises dans une unité de temps par plusieurs personnes réunies, d’infractions procédant d’un plan concerté, d’infractions dont les unes sont commises pour procurer les moyens de commettre les autres, en faciliter, en consommer l’exécution ou en assurer l’impunité et de recel de l’objet d’une infraction.
Cependant, la chambre criminelle retient de façon constante que les dispositions de l’article 203 précité ne sont pas limitatives et s’étendent aux cas dans lesquels il existe entre les faits des rapports étroits analogues à ceux que la loi a spécialement prévus (Crim. 26 juillet 1988, n° 87-81.745).
Le Professeur Vitu écrivait d’ailleurs, à la Revue de Sciences Criminelles en 1989 :
« On comprend aisément que la Cour de cassation ait pu étendre l’article 203 au-delà de ses termes chaque fois que se manifeste entre les infractions poursuivies un lien dans lequel transparaît la communauté de pensée criminelle des prévenus, ou à tout le moins, une relation de causalité suffisamment affirmée ; c’est à ce lien subjectif ou objectif selon le cas, que font allusion les arrêts qui retiennent la connexité « lorsqu’il existe entre les faits des rapports étroits analogues à ceux que la loi a spécialement prévu ».
C’est justement le cadre juridique dans lequel s’inscrit le pourvoi des parties civiles soutenant que l’existence d’une relation de cause à effet entre deux agissements ne signifie pas nécessairement qu’en toute hypothèse, l’un ne pourrait pas être possible sans l’autre : il existe aussi une relation de cause à effet entre deux agissements lorsque l’un a contribué à la survenance de l’autre.
En l’occurrence, il est soutenu que les deux responsables de la DCN mis en cause, ont mis en œuvre un protocole de sécurité inadapté à l’état de la menace, en particulier lors des déplacements entre le lieu de résidence et le chantier permettant une identification aisée des personnels, du moyen de locomotion et des itinéraires empruntés, exposant ainsi les salariés sous sa responsabilité à la menace terroriste.
Plus précisément, les parties civiles font valoir que bien qu’ayant parfaitement connaissance du contexte sécuritaire régional et de la menace prégnante d’actes de terrorisme qui sévissait dans les jours et semaines précédant l’attentat, les mis en examen n’ont pas pris les mesures de modification des horaires et de l’itinéraire du bus transportant le personnel de leur hôtel au site qui s’imposaient au regard des risques graves pour la sécurité des travailleurs, contribuant ainsi à la réalisation de l’attentat.
Nous vous tiendrons bien sûr informés de la décision de la Cour de cassation qui est annoncée le 15 octobre 2024.