Protection fonctionnelle et mesures coercitives : une différence de traitement entre les agents et les élus ?

Catherine Bauer-Violas

La protection fonctionnelle, ensemble de mesures permettant de protéger les élus et les agents publics faisant l’objet de menaces, ou mis en cause à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions, est décidément à l’honneur au  Conseil constitutionnel.

Ce dernier vient en effet de déclarer inconstitutionnel pour méconnaissance du principe d’égalité devant la loi, l’article 134-4 du Code général de la fonction publique en ce qu’il en exclut de la protection qu’il instaure, les agents publics faisant l’objet de poursuites pénales, lorsqu’ils sont entendus sous le régime de l’audition libre alors que les agents auditionnés comme témoin assisté ou placés en garde à vue, peuvent eux bénéficier de cette protection. (Déc. 4 juillet 2024).

Le Conseil constitutionnel devra bientôt se prononcer sur la constitutionnalité de l’article L 2123-34 du code général des collectivités territoriales.

Par une décision en date du 15 juillet dernier, le Conseil d’Etat lui a en effet renvoyé la question soulevée par une commune dans le cadre d’un litige portant sur une délibération du conseil municipal accordant au Maire la protection fonctionnelle qu’il sollicitait.

Dans un arrêt du 17 octobre 2023, la Cour administrative d’appel a annulé la délibération en question.

Tout en se pourvoyant contre cette décision, la commune a saisi le Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité.

Pour mémoire, l’article en question, dans sa rédaction applicable aux faits de l’espèce, dispose :

« Sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l’article 121-3 du code pénal, le maire ou un élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation ne peut être condamné sur le fondement du troisième alinéa de ce même article pour des faits non intentionnels commis dans l’exercice de ses fonctions que s’il est établi qu’il n’a pas accompli les diligences normales compte tenu de ses compétences, du pouvoir et des moyens dont il disposait ainsi que des difficultés propres aux missions que la loi lui confie.

La commune est tenue d’accorder sa protection au maire, à l’élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation ou à l’un de ces élus ayant cessé ses fonctions lorsque celui-ci fait l’objet de poursuites pénales à l’occasion de faits qui n’ont pas le caractère de faute détachable de l’exercice de ses fonctions.

La commune est tenue de souscrire, dans un contrat d’assurance, une garantie visant à couvrir le conseil juridique, l’assistance psychologique et les coûts qui résultent de l’obligation de protection à l’égard du maire et des élus mentionnés au deuxième alinéa du présent article. Dans les communes de moins de 3 500 habitants, le montant payé par la commune au titre de cette souscription fait l’objet d’une compensation par l’Etat en fonction d’un barème fixé par décret.

Lorsque le maire ou un élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation agit en qualité d’agent de l’Etat, il bénéficie, de la part de l’Etat, de la protection prévue par l’article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. »

 La commune constatait que si le 2ème alinéa de l’article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales devait être interprété, comme l’avait fait la Cour administrative d’appel, comme faisant obstacle à la faculté, pour les communes, d’accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle aux personnes visées par ce texte (maire, élus municipaux, suppléants, bénéficiaires d’un délégation, anciens élus municipaux) en l’absence de « poursuites pénales » engagées à leur encontre, il en résulterait que l’octroi du bénéfice de la protection fonctionnelle ne pourrait être accordé lorsque, comme en l’espèce, dans le cadre d’une enquête préliminaire, le maire d’une commune a fait l’objet de diverses mesures coercitives, telles que saisie pénale ou garde à vue.

Elle soutenait que dans la mesure où les dispositions du 2è alinéa de l’article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales étaient applicables au litige et n’avaient pas été déjà déclarées conformes à la Constitution,

  • d’une part qu’elles étaient, contraires au principe fondamental reconnu par les lois de la République de protection fonctionnelle,
  • et d’autre part, contraires au principe d’égalité devant la loi à raison de la différence de traitement institué entre les élus locaux et les agents publics ordinaires.

Sur le premier point, il faut rappeler que trois conditions doivent être réunies pour que l’existence d’un « PFRLR » soit reconnue :

– le principe doit énoncer une règle suffisamment importante, avoir un degré suffisant de généralité et intéresser des domaines essentiels pour la vie de la Nation, comme les libertés fondamentales, la souveraineté nationale ou l’organisation des pouvoirs publics ;

– il doit trouver un ancrage textuel dans une ou plusieurs lois intervenues sous un régime républicain antérieur à 1946 ;

– il faut, enfin, qu’il n’ait jamais été dérogé à ce principe par une loi républicaine antérieure à l’entrée en vigueur de la Constitution de 1946 » (Commentaire de la décision CC, 25 novembre 2011, Discipline des vétérinaires, n° 2011-199 QPC).

En l’espèce, la commune requérante se prévaut de l’existence d’un PFRLR selon lequel les autorités administratives sont tenues d’accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle à leurs agents lorsqu’ils sont mis en cause à raison de l’exercice de leurs fonctions pour des faits qui ne présentent pas le caractère de fautes détachables, en faisant valoir que les conditions nécessaires à l’identification d’un PFRLR sont remplies.

  • Ainsi, l’octroi de la protection fonctionnelle au profit des agents publics constitue une garantie indispensable pour le bon fonctionnement des autorités administratives et, par suite, pour la vie de la Nation, l’exercice de la souveraineté nationale et l’organisation des pouvoirs publics.
  • De surcroît, le principe de la protection fonctionnelle trouve son origine dans diverses dispositions de nature législative qui sont antérieures à la Constitution du 27 octobre 1946, notamment l’article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 sur l’organisation judiciaire qui énonce notamment que « […] Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions »
  • Enfin, aucune loi républicaine antérieure à l’entrée en vigueur de la Constitution du 27 octobre 1946 n’a dérogé au principe de la nécessité d’assurer la protection des agents publics mis en cause à raison de l’exercice de leurs fonctions lorsque les faits reprochés ne présentent pas le caractère de fautes détachables.

Sur le second point, la commune soutient que la différence de traitement instaurée par l’article L 2123-34 du CGCT entre les élus locaux et les agents ordinaires n’est pas en rapport « direct » avec l’objet de la loi et n’est pas, non plus, fondée sur des critères « objectifs » et « rationnels ».

Dans sa décision du 15 juillet, le Conseil d’Etat a considéré que :

« En premier lieu, le grief tiré de ce qu’elles méconnaissent un principe fondamental reconnu par les lois de la République qui implique que les collectivités publiques accordent leur protection aux agents publics mis en cause à raison de faits commis dans l’exercice de leurs fonctions, dès lors qu’il ne s’agit pas de fautes détachables, soulève une question qui peut être regardée comme nouvelle au sens et pour l’application de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958.

En second lieu, le grief tiré de ce que, à raison de la différence de traitement qu’elles instituent entre, d’une part, le maire ou un élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation pour lesquels la protection fonctionnelle n’est prévue que lorsqu’ils font l’objet de poursuites pénales à moins qu’ils n’agissent au nom de l’Etat et, d’autre part, les autres agents publics, elles portent atteinte au principe d’égalité garanti par la Constitution soulève une question présentant un caractère sérieux ».

C’est donc dans ces conditions que la question prioritaire de constitutionnalité invoquée a été renvoyée au Conseil constitutionnel. Nous vous tiendrons bien entendu informés de sa décision. Dans un contexte de crise des vocations, son importance n’en est que renforcée.

 

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