La Cour de cassation a récemment rendu un arrêt (Com., 22 novembre 2023, pourvoi n° 22-17.843, publié au bulletin) qui vient limiter le domaine d’application du plafond de responsabilité dont bénéficie le manutentionnaire portuaire.
Conformément aux dispositions de l’article L. 5422-23 du code des transports « la responsabilité de l’entrepreneur de manutention ne peut en aucun cas dépasser les montants fixés par l’article L. 5422-13 et par les dispositions réglementaires prévues par l’article L. 5421-9, à moins qu’une déclaration de valeur ne lui ait été notifiée ».
Ce plafond d’indemnisation ne correspond que partiellement à celui qui est institué au profit du transporteur maritime, l’article L. 5422-13 du même code disposant que « la responsabilité du transporteur est limitée, pour les pertes ou dommages subis par les marchandises, aux montants fixés » par la convention internationale pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement, signée à Bruxelles le 25 août 1924.
Le plafond de responsabilité dont bénéficie le transporteur est ainsi limité aux seuls dommages consistant dans les pertes et dommages subis par les marchandises, l’indemnisation des autres préjudices n’étant pas plafonnée.
A la question de savoir si la locution « en aucun cas », qui définit le plafond applicable au manutentionnaire portuaire, correspondait aux seules « pertes ou dommages subis par les marchandises », définissant le plafond applicable au transporteur, la Cour de cassation a apporté une réponse négative. Elle a ainsi consacré une lecture dite extensive de l’article L. 5422-23 du code des transports, la limitation de responsabilité du manutentionnaire s’appliquant « aux dommages causés à la marchandise et à ceux consécutifs ou annexes supportés par le transporteur » (Com., 16 janvier 2019, pourvoi n° 17-24.598, publié au bulletin).
Elle a ainsi jugé, par une série d’arrêts rendus dans les années 2010, que les frais de manutention, stationnement et destruction des marchandises endommagées, les frais de surestaries pour l’immobilisation du conteneur et de réparation des dommages causés à des conteneurs ne peuvent être invoqués par le transporteur à l’encontre du manutentionnaire au-delà du plafond légal (Com., 16 janvier 2019, préc. ; 14 janvier 2014, pourvoi n°12-28.877 ; 19 octobre 2010, pourvoi n° 09-15.244).
Toutefois, indépendamment de la règle édictée par l’article L. 5422-23 du code des transports, le manutentionnaire maritime peut également engager sa responsabilité délictuelle à l’égard des tiers lors des opérations de mise à bord et de débarquement (Com., 28 mai 1974, pourvoi n° 73-10.526, publié au bulletin ; 15 juillet 1987, pourvoi n° 85-17.567, publié au bulletin).
Le manutentionnaire qui aurait engagé des frais pour indemniser les tiers de préjudices qu’il leur a causés peut-il invoquer ces dépenses et les déduire, par compensation, de la somme qu’il doit au transporteur maritime, en application des dispositions de l’article L. 5422-23 du code des transports ?
La Cour de cassation vient de répondre à la négative par cette question et de juger que « La limitation de responsabilité du manutentionnaire prévue à l’article L. 5422-23 du code des transports ne s’applique qu’à l’égard du transporteur et ne peut donc porter que sur les dommages subis par ce dernier. Le manutentionnaire n’est pas fondé à en réclamer le bénéfice pour des frais destinés à limiter ou réparer son propre préjudice ou celui qu’il a causé à des tiers ».
Il en résulte que le manutentionnaire qui a engagé des dépenses pour limiter et réparer le dommage qu’il a causé aux installations portuaires, et non au transporteur, ne justifie d’aucune créance à l’égard de ce dernier pouvant faire l’objet d’une quelconque compensation.
Cette solution, jusqu’ici inédite, consacrée par un arrêt publié, exclut que soient englobées dans le plafond de responsabilité contractuelle du manutentionnaire les conséquences de sa responsabilité délictuelle, ce qui ne contrevient en rien aux dispositions de l’article L. 5422-23 du code des transports.
La limitation de responsabilité du manutentionnaire portuaire connaît donc elle-même des limites.