La fixation de l’indemnité d’expropriation et le prix de revente des terrains

Olivia Feschotte-Desbois

A l’occasion d’une importante opération d’aménagement faisant suite à la création d’une zone d’aménagement concerté (ZAC), la Cour de cassation a été saisie de pourvois dirigés contre les arrêts fixant les indemnités de dépossession revenant aux expropriés.
Ces contentieux ont porté sur les règles d’évaluation de ces indemnités, et ont donné lieu à une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions de l’article L 322-2 alinéas 2 et 4 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique. Ces dispositions imposent de d’apprécier la nature et l’usage effectif de l’immeuble exproprié à la date dite de référence, très antérieure à la date de l’expropriation (alinéa 2), et interdisent de tenir compte des changements de valeur subis depuis cette date de référence, même lorsqu’ils sont constatés par des actes de vente, s’ils ont été provoqués par l’annonce des travaux ou opérations dont la déclaration d’utilité publique est demandée par l’expropriant (alinéa 4).

Par un arrêt du 1er avril 2021, la Cour de cassation a renvoyé au Conseil constitutionnel la question posée, estimant que cette règle d’évaluation  était susceptible de « porter atteinte à l’exigence selon laquelle nul ne peut être privé de sa propriété que sous la condition d’une juste et préalable indemnité », dans le cas où, appliquée à « l’évaluation d’un bien destiné à être revendu par l’expropriant dans des conditions déjà déterminées et lui permettant de bénéficier d’une plus-value certaine », elle est « de nature à créer un déséquilibre entre les intérêts de l’exproprié et ceux de l’expropriant, celui-ci étant protégé de la spéculation foncière qui aurait pu bénéficier à l’exproprié, tout en étant assuré d’en tirer lui-même profit ».

Par une décision du 11 juin 2021 (n°2021-915/916 QPC), le Conseil constitutionnel a estimé que les dispositions critiquées ne portaient pas atteinte à l’exigence selon laquelle nul ne peut être privé de sa propriété que sous la condition d’une juste et préalable indemnité et ne méconnaissaient donc pas l’article 17 de la Déclaration de 1989.

La Cour de cassation a ensuite statué sur les pourvois, qu’elle a rejetés par arrêts du 2 mars 2022 (pourvoi n°20-17.133 et 20-17134). Ceux-ci invoquaient une violation de l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, affirmant que le juge de l’expropriation devrait procéder à un contrôle concret de proportionnalité afin de s’assurer que l’application de la règle de droit ne porte pas à l’exproprié une atteinte disproportionnée à son droit de propriété en le dépossédant de son bien sans lui assurer une indemnisation en rapport avec la valeur de ce bien. En substance, les expropriés reprochaient à la cour d’appel d’avoir refusé de procéder à ce contrôle pour tenir compte, dans l’évaluation de l’indemnité d’expropriation, de la plus-value à réaliser par l’expropriant lors de la revente du bien.

La Cour de cassation a jugé que la cour d’appel n’était pas tenue de procéder à ce contrôle car il était inopérant. En effet, les biens expropriés avaient été vendus pour la réalisation d’un projet déclaré d’utilité publique. La plus-value n’étant générée par ces ventes qu’en raison de l’opération d’utilité publique conduite par l’expropriant, n’est donc pas en lien direct avec le préjudice résultant de la dépossession qui, seul, peut être indemnisé par le juge de l’expropriation, compte tenu de la situation particulière des biens et des contraintes urbanistiques, de sorte qu’elle n’a pas à être prise en compte pour déterminer l’indemnité réparant la dépossession.

Ainsi qu’elle l’a déjà affirmé par un précédent arrêt publié (3e  Civ., 25 janvier 2018, pourvoi n° 16-25138, Bull. III n° 10), les expropriés ne peuvent bénéficier de la plus-value apportée à leurs immeubles par les opérations d’urbanisme prévues par l’autorité expropriante.
De fait, comme prescrit l’article L 321-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, seul le préjudice direct, matériel et certain, né de la dépossession peut être indemnisé. Or l’exproprié n’est pas à l’origine du projet d’utilité publique qui, seul, provoque l’augmentation de valeur, et dont l’expropriant supporte les risques.

Ajoutons, pour ce qui concerne les ZAC, que la revente de terrains acquis est de leur essence même (L 311-1 du code de l’urbanisme) puisque le recours à la ZAC suppose précisément la conception d’un aménagement d’ensemble comportant la cession de lots une fois équipés et aménagés afin que l’acquéreur l’affecte, dans le respect du cahier des charges qui lui est imposé, à la destination prévue, tandis que les recettes provenant de la vente permettent à l’aménageur de  financer les infrastructures et équipements publics, afin d’assurer l’équilibre de l’opération. C’est ce qui explique que le bilan d’une ZAC ne peut être fait à l’échelle de chaque bien exproprié mais de façon globale et au terme de l’opération.

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