Par une décision de non-admission du 28 janvier 2025 (n° 490227), le Conseil d’État a définitivement consacré, en l’état des textes applicables, l’impossibilité pour les communes d’accorder à leur maire le bénéfice de la protection fonctionnelle avant l’exercice de « poursuites pénales » lorsqu’ils agissent en qualité d’agent communal.
Si l’issue de ce litige était malheureusement attendue après le rejet par le Conseil constitutionnel le 11 octobre 2024 d’une question prioritaire de constitutionnalité formulée à l’occasion de cette même instance (n° 2024-1106 QPC), cette solution n’en demeure pas moins décevante.
En effet, ces décisions semblent constituer une occasion manquée de reconnaître, au profit des maires, le bénéfice d’une légitime protection lorsque, avant même l’exercice de « poursuites pénales », ces élus font l’objet de mesures attentatoires à leurs libertés à raison de faits commis dans l’exercice de leurs fonctions qui ne présentent pas le caractère d’une faute détachable.
I – Sur les circonstances à l’origine de l’affaire
À la suite de l’ouverture d’une enquête préliminaire, le maire d’une commune avait fait l’objet de deux ordonnances de saisie pénale puis placé en garde à vue à raison de faits reprochés dans le cadre de l’exercice de ses fonctions.
Considérant que le maire de cette commune n’avait pas commis de faute détachable de l’exercice de ses fonctions, le conseil municipal a décidé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle pour lui permettre de faire face aux frais nécessaires à sa défense.
Estimant cette délibération illégale, des élus d’opposition ont saisi le juge administratif et obtenu l’annulation de cette délibération devant les juridictions du fond au motif que le bénéfice de la protection fonctionnelle ne pourrait être accordé au maire avant l’exercice des poursuites pénales en application de l’article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales (CGCT).
II – Sur les conditions fixées à l’article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales
La pertinence de la condition tenant à l’exercice de « poursuites pénales » prévue à l’article L. 2123-34 du CGCT ne paraissait pas à l’abri de sérieuses critiques.
L’objet de la protection fonctionnelle est de protéger les agents publics et élus locaux lorsque, à travers leur personne, c’est la personne publique qui est mise en cause. Dans ces conditions, pourquoi attendre l’exercice de « poursuites pénales » pour accorder cette protection ?
En effet, bien avant l’exercice même des « poursuites pénales », le maire est susceptible de faire l’objet de nombreuses mesures attentatoires à ses libertés à raison de l’exercice de ses fonctions tant dans le cadre d’une enquête de flagrance[1] que d’une enquête préliminaire[2].
Le législateur a lui-même constaté la nécessité d’accorder, dans certains cas, le bénéfice de la protection fonctionnelle à des agents publics avant l’exercice des « poursuites pénales ».
C’est ainsi que l’article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 désormais codifié à l’article L. 134-4 du code général de la fonction publique prévoit la possibilité d’accorder, à l’ensemble des fonctionnaires, le bénéfice de la protection fonctionnelle lorsqu’ils sont entendus en qualité de témoin assisté, placés en garde à vue ou lorsqu’ils se voient proposer une mesure de composition pénale.
L’article L. 4123-10 du code de la défense prévoit les mêmes règles au profit des militaires.
À son tour, l’article L. 113-1 du code de la sécurité intérieure étend au profit de diverses catégories d’agents (fonctionnaires de la police nationale, militaires de la gendarmerie nationale, sapeurs-pompiers professionnels, etc.) le bénéfice de la protection fonctionnelle en cas de simple audition libre.
Une telle situation au détriment des maires n’était pas sans poser de sérieuses difficultés.
Sur le plan constitutionnel, on pouvait s’interroger sur la conformité de cette situation au principe d’égalité. De façon plus ambitieuse, on pouvait se demander également si une telle situation était ou non conforme à un éventuel principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR) imposant, aux personnes publiques, d’accorder à leurs agents le bénéfice de la protection fonctionnelle à toutes les phases régies par la procédure pénale lorsqu’ils sont mis en cause à raison de faits commis dans l’exercice de leurs fonctions qui ne présentent pas le caractère d’une faute détachable.
Cette critique pouvait être dédoublée sur le terrain du principe général du droit (PGD) de la protection fonctionnelle reconnu par le Conseil d’État depuis 1963[3] et étendu aux élus locaux[4]. En effet, au regard du raisonnement déjà tenu par le Conseil d’État à l’occasion de plusieurs décisions précédentes[5], on pouvait sérieusement s’interroger sur la possibilité d’une extension prétorienne de la protection fonctionnelle accordée aux maires au-delà des conditions strictement définies à l’article L. 2123-34 du CGCT en s’inspirant des dispositions du code général de la fonction publique, du code de la défense et du code de la sécurité intérieur précitées.
III – Sur les décisions du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel
C’est dans ce contexte que la commune a formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État et que, à cette occasion, elle a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).
Saisi à la suite d’une décision de renvoi du Conseil d’État du 15 juillet 2024 (n° 490227), le Conseil constitutionnel a estimé devoir passer outre les critiques formulées sur le plan constitutionnel.
En effet, par une décision du 11 octobre 2024 (n° 2024-1106 QPC), le Conseil constitutionnel a écarté l’existence du PFRLR dont se prévalait la commune au motif qu’aucune des dispositions invoquées (notamment celles de la loi n° 46-2294 du 19 octobre 1946 relative au statut général des fonctionnaires) ne peut être interprétée comme ayant donné naissance à un tel principe.
Le Conseil constitutionnel a également écarté le moyen tiré de la méconnaissance du principe d’égalité au motif que la différence de traitement instituée au détriment des élus reposerait sur une différence de situation et qu’elle serait en rapport direct avec l’objet de la loi.
Statuant sur le litige après rejet de la QPC, par une décision de non-admission du 28 janvier 2025 (n° 490227), le Conseil d’État a entériné la solution retenue par les juges du fond reposant sur la méconnaissance, par la commune, des conditions prévues à l’article L. 2123-34 du CGCT.
IV – Analyse et perspectives
Les décisions du Conseil constitutionnel du 11 octobre 2024 et du Conseil d’État du 28 janvier 2025 précitées constituent une occasion manquée de reconnaître, au profit des maires, le bénéfice de la protection fonctionnelle dans des conditions analogues à celles prévalant au profit d’autres catégories d’agents.
- En effet, une telle solution n’était pas hors de portée pour le Conseil constitutionnel. En particulier, le Conseil constitutionnel juge que le législateur ne peut pas instituer de différences de traitement sur la base de critères dépourvus de pertinence[6]. Or, l’objet de la protection fonctionnelle étant de protéger les agents de l’autorité administrative lorsque « […] derrière l’agent se dissimule le service» (P. Collin, concl., CE, Sect., 8 juin 2011, M. X., n° 312700, au Recueil), on peut se demander ce qui justifie de soumettre les maires à des règles moins protectrices que celles bénéficiant aux autres catégories d’agents.
Cette interrogation est plus vive encore à la lecture de la décision du Conseil d’État du 15 juillet 2024 portant renvoi de la QPC. En effet, à l’occasion de cette décision, le Conseil d’État a jugé que le maire de la commune peut obtenir le bénéfice de la protection fonctionnelle dans les conditions prévues à l’article L. 134-4 du code général de la fonction publique lorsqu’il agit en qualité d’agent de l’État (n° 490227, pt. 3).
Or, existe-t-il un motif pertinent qui justifie, tout à la fois, que le maire puisse solliciter le bénéfice de la protection fonctionnelle avant l’exercice des « poursuites pénales » lorsqu’il agit en qualité d’agent de l’État (art. L. 134-4 du code général de la fonction publique), mais qu’une telle protection doive lui être refusée lorsqu’il agit en qualité d’agent communal (art. L. 2123-34 du CGCT) ?
Sur le terrain plus ambitieux du PFRLR, le Conseil d’État s’était inspiré des dispositions de l’article 14 de la loi n° 46-2294 du 19 octobre 1946 pour reconnaître l’existence du PGD de la protection fonctionnelle à l’occasion de sa décision fondatrice du 26 avril 1963 (CE, Sect., 26 avril 1963, Centre hospitalier de Besançon, n° 42783, au Recueil, éclairée par les conclusions du président Chardeau elles-mêmes publiées au Recueil). Pourquoi sur le plan constitutionnel estimer que ces dispositions seraient impropres à justifier la consécration d’un PFRLR ?
- Une extension du bénéfice de la protection fonctionnelle au-delà des conditions prévues à l’article L. 2123-34 du CGCT n’était pas, non plus, hors de portée pour le Conseil d’État.
En effet, la décision commentée s’inscrit en retrait par rapport à plusieurs décisions antérieures acceptant d’étendre le bénéfice de la protection fonctionnelle, de façon prétorienne, au-delà des prévisions de dispositions spéciales sur le fondement du PGD de la protection fonctionnelle[7].
- Cet état du droit peu satisfaisant pour les élus pourrait néanmoins demeurer seulement temporaire. En effet, dans sa décision de rejet de la QPC, le Conseil constitutionnel a pris le soin de rappeler qu’il était « […] loisible au législateur d’étendre la protection bénéficiant aux élus municipaux à d’autres actes de la procédure pénale » (n° 2024-1106 QPC, pt. 14).
Espérons qu’à brève ou moyenne échéance, le législateur saisisse cet appel du pied pour faire bénéficier aux maires, lorsqu’ils agissent en qualité d’élus locaux, des mêmes garanties que celles prévalant au profit des autres catégories d’agents.
[1] En application des articles 53 et suivants du code de procédure pénale, les mesures suivantes peuvent être prononcées à l’occasion d’une enquête de flagrance : prélèvements externes ; prises d’empreintes ou de photographies ; saisies ; perquisitions ; visites domiciliaires ; retenue pour audition pendant une période maximale de quatre heures ; placement en garde à vue ; etc.
[2] En application des articles 76 et suivants du code de procédure pénale, les mesures suivantes peuvent être prononcées à l’occasion d’une enquête préliminaire : perquisitions ; visites domiciliaires ; saisies de pièces à conviction ou de bien ; placement en garde à vue ; convocations obligatoires ; etc.
[3] CE, Sect., 26 avril 1963, Centre hospitalier de Besançon, n° 42783, au Recueil, p. 242.
[4] CE, 5 mai 1971, M. X., n° 79494, au Recueil, pt. 2.
[5] V., par ex. : CE, 8 juillet 2020, M. X., n° 427002, aux Tables, pt. 2 ; CE, Sect., 8 juin 2011, M. X., n° 312700, au Recueil, pt. 2.
[6] V., par ex. : CC, 29 décembre 2016, Loi de finances rectificative pour 2016, n° 2016-743 DC, pt. 26-27 ; CC, 21 septembre 2018, Société d’exploitation de moyens de carénage, n° 2018-733 QPC, pt. 9.
[7] V., par ex. : CE, 8 juillet 2020, M. X., n° 427002, aux Tables, pt. 2 ; CE, Sect., 8 juin 2011, M. X., n° 312700, au Recueil, pt. 2.