Le pourvoi contre les ordonnances d’expropriation

Olivia Feschotte-Desbois

Les cassations prononcées à l’encontre d’ordonnances d’expropriation sont relativement rares, puisque, selon l’article L 223-1 du code de l’expropriation  pour cause d’utilité publique, le pourvoi lui-même ne peut être exercé contre une telle ordonnance que pour incompétence, excès de pouvoir ou vice de forme.

Rappelons que l’expropriation comporte deux phases, l’une administrative, l’autre judiciaire. Appartiennent à la phase administrative l’acte de déclaration d’utilité publique de l’opération qui rend nécessaire l’expropriation d’immeubles, et l’arrêté de cessibilité qui identifie précisément les parcelles concernées par l’emprise du projet ainsi que leurs propriétaires. Le contentieux de ces deux actes ressortit de la compétence du juge administratif. Une fois l’ensemble des actes de la phase administrative achevés, et hors le cas d’une cession amiable, le préfet du département du lieu de situation des biens dépose, à la requête de l’autorité expropriante, un dossier au greffe du juge de l’expropriation du département en question et requiert le prononcé d’une ordonnance d’expropriation et l’envoi en possession au bénéfice de l’autorité expropriante. La procédure qui donne lieu au prononcé de l’ordonnance d’expropriation n’est pas contradictoire.

Une fois prononcée, l’ordonnance d’expropriation est notifiée par lettre recommandée avec avis de réception aux propriétaires concernés, qui peuvent exercer un pourvoi en cassation dans le délai de deux mois de la notification reçue. L’autorité expropriante n’entrera toutefois en possession des biens qu’une fois les indemnités de dépossession payées à leurs anciens propriétaires. La fixation des indemnités peut intervenir par voie d’accords amiables ou, à défaut, par le tribunal judiciaire saisi par l’expropriant. Le contentieux de l’ordonnance d’expropriation comme celui de la fixation des indemnités de dépossession relèvent de la compétence du juge judiciaire, gardien de la propriété privée.

Lorsqu’il est saisi pour prononcer l’expropriation, le juge de l’expropriation doit vérifier que le dossier qui lui est remis par le préfet est complet et que les pièces sont régulières.

Pour mémoire, l’article L. 221-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique dispose que :

«L’ordonnance portant transfert de propriété est rendue par le juge au vu des pièces constatant que les formalités prescrites par le livre Ier ont été accomplies. »

L’article R. 221-1 du même code précise les pièces transmises par le préfet au juge de l’expropriation :

« Le préfet transmet au greffe de la juridiction du ressort dans lequel sont situés les biens à exproprier un dossier qui comprend les copies :

1° De l’acte déclarant l’utilité publique de l’opération et, éventuellement, de l’acte le prorogeant ;

2° Du plan parcellaire des terrains et bâtiments ;

3° De l’arrêté préfectoral mentionné à l’article R. 131-4 ;

4° Des pièces justifiant de l’accomplissement des formalités tendant aux avertissements collectifs et aux notifications individuelles prévues aux articles R. 131-5, R. 131-6 et R. 131-11, sous réserve de l’application de l’article R. 131-12 ;

5° Du procès-verbal établi à la suite de l’enquête parcellaire ;

6° De l’arrêté de cessibilité ou de l’acte en tenant lieu, pris depuis moins de six mois avant l’envoi du dossier au greffe.

Le dossier peut comprendre tous autres documents ou pièces que le préfet estime utiles.

Si le dossier ne comprend pas toutes les pièces mentionnées aux 1° à 6°, le juge demande au préfet de les lui faire parvenir dans un délai d’un mois. »

Aux termes de ces textes, le dossier transmis au juge de l’expropriation doit donc comporter, notamment, les pièces justifiant l’accomplissement des formalités informant les futurs expropriés de l’organisation de l’enquête parcellaire à la mairie du lieu de l’opération d’utilité publique (R. 221-1 4°), enquête qui précède obligatoirement l’arrêté de cessibilité.

Cette information à destination des propriétaires est essentielle puisqu’elle a pour objet de leur permettre, non seulement de prendre connaissance du projet intéressant leur terrain, mais aussi de faire part de leurs observations au commissaire-enquêteur désigné pour mener cette enquête parcellaire dont la durée ne peut être inférieure à quinze jours. Les propriétaires concernés doivent donc recevoir notification individuelle du dépôt du dossier d’enquête parcellaire dans un délai qui leur permette de disposer de la durée de quinze jours pour faire valoir leurs observations. Une ordonnance d’expropriation dont il ne résulterait pas que ce délai a été respecté serait entachée d’un vice de forme (3e Civ., 12 avril 2018, pourvoi n°17-14229).

L’article R. 131-6 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique énonce que :

« notification individuelle du dépôt du dossier à la mairie est faite par l’expropriant, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, aux propriétaires figurant sur la liste établie conformément à l’article R. 131-3, lorsque leur domicile est connu d’après les renseignements recueillis par l’expropriant ou à leurs mandataires, gérants, administrateurs ou syndics.

En cas de domicile inconnu, la notification est faite en double copie au maire, qui en fait afficher une, et, le cas échéant, aux locataires et aux preneurs à bail rural. »

De deux choses l’une : soit le domicile de l’exproprié est connu, et alors cet exproprié doit recevoir une notification individuelle ; soit il ne l’est pas, et le courrier est adressé au maire aux fins d’affichage public.

Tous les propriétaires dont le domicile est connu doivent recevoir la notification individuelle prévue, par lettre recommandée avec avis de réception, ou par acte d’huissier puisqu’elle est toujours possible sous cette forme également, en application de l’article 651 du code de procédure civile.

Mais lorsque le propriétaire est décédé et si l’autorité expropriante a connaissance de ce décès avant l’ouverture de l’enquête parcellaire et l’accomplissement des formalités qui précèdent son ouverture, il incombe à l’autorité expropriante d’adresser la notification prévue à ses héritiers.

Il lui appartient donc d’effectuer les diligences propres à les identifier et d’en justifier.

La Cour de cassation censure les ordonnances prononçant le transfert de propriété de parcelles sans constater que l’autorité expropriante avait justifié des diligences accomplies afin de rechercher les héritiers du propriétaire décédé (3e Civ., 19 décembre 2006, pourvoi n° 05.70.070, pour un autre exemple, 3e Civ. 25 avril 2006, pourvoi n° 05-70.073), et approuve celles qui refusent de prononcer le transfert de propriété de parcelles dès lors que les propriétaires concernés étant décédés antérieurement à l’arrêté de cessibilité, l’autorité expropriante n’a pas justifié des formalités accomplies afin de rechercher les héritiers (3e Civ, 27 novembre 1991, Bull. III, n° 248, pourvoi n° 89-70.304).

L’expropriant doit démontrer avoir accompli des diligences suffisantes pour rechercher les héritiers du propriétaire décédé, ce qui n’est pas le cas d’une notification individuelle faite à son dernier domicile connu (3e Civ., 12 mai 1981, pourvoi n° 80-70.207).

En l’occurrence, la métropole expropriante avait eu connaissance du décès du propriétaire d’une parcelle incluse dans l’emprise de l’opération, et il est apparu que le dossier transmis au juge de l’expropriation, faisant apparaître que l’information du décès était connue de l’administration,  ne contenait pourtant aucune justification que la  métropole eût  engagé  et  justifié  les  démarches  nécessaires pour identifier ses héritiers afin de leur notifier le dépôt en mairie du dossier d’enquête parcellaire. Touchées par la notification de l’ordonnance d’expropriation, les héritières du propriétaire décédé avaient exercé un pourvoi contre l’ordonnance et avaient notamment fait valoir le vice de forme entachant l’ordonnance, ce qui les avait privées de la possibilité de faire des observations à l’occasion de l’enquête publique.

C’est la position qu’a adopté la Cour de cassation dans une récente affaire (3e Civ., 7 mars 2024, pourvoi n°23-12754) pour casser et annuler l’ordonnance attaquée :

« Pour  déclarer expropriée immédiatement pour cause d’utilité publique au profit de la métropole la parcelle appartenant à Mmes B et envoyer la métropole en possession de cette parcelle, l’ordonnance vise le certificat  du  maire  en  date  du  mois d’octobre  2021  attestant  de l’affichage en mairie de la notification de l’enquête parcellaire concernant Monsieur B., propriétaire n’ayant pu être touché.

En statuant ainsi, alors que l’expropriant avait connaissance du décès de Monsieur B., survenu au mois de novembre 2020, avant l’ouverture de l’enquête parcellaire  et  qu’il  n’était  pas  justifié  de  recherches  pour  identifier  ses héritiers,  la  seule  mention  de  recherches  infructueuses  sur  le  certificat d’affichage en mairie étant insuffisante pour en caractériser l’existence, le juge de l’expropriation a violé les textes susvisés ».

Cette décision réitère donc une jurisprudence exigeante et éclaire sur les vérifications requises du juge de l’expropriation, en dépit du caractère purement formel de son contrôle.

Droit rural
Article suivant
Une nouvelle illustration de la mise en œuvre par la chambre criminelle du contrôle de proportionnalité
Article précédent
Régularité des jugements – Dispense du rapporteur public de prononcer des conclusions : cela va mieux en l’écrivant