Une nouvelle illustration de la mise en œuvre par la chambre criminelle du contrôle de proportionnalité

Catherine Bauer-Violas

Le juge qui condamne un propriétaire, responsable de la dégradation volontaire du bien d’autrui dans le cadre d’un conflit portant sur une servitude de passage située sur la cour de son terrain, à ne pas paraître sur la parcelle lui appartenant pendant deux ans au titre d’un sursis, sans s’assurer de ce que cette mesure ne porte pas une atteinte excessive à son droit de propriété, ne remplit pas correctement son office au regard des exigences conventionnelles.

Dans la présente affaire, un conflit s’était élevé avec le propriétaire d’un lot sur lequel un centre d’art contemporain bénéficiait d’une servitude de passage limitée, pour des faits de mise en danger délibérée de la vie d’autrui, vol, et dégradation volontaire du bien d’autrui en ce qu’il avait bloqué les issues de secours du bâtiment loué par l’association avec des pneumatiques et palettes en bois, dérobé les poignées de porte de ces issues de secours et répandu de l’huile de vidange dans sa cour devant ces issues de secours.

Le propriétaire avait été cité devant le tribunal correctionnel des chefs de mise en danger délibérée de la vie d’autrui par la violation d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, de vol, et de dégradation ou détérioration volontaire du bien d’autrui.

Par un jugement du 2 mai 2022, le tribunal correctionnel de Rouen, sur l’action publique, l’avait relaxé pour les faits de dégradation ou détérioration d’un bien appartenant à autrui, mais déclaré coupable du surplus des faits reprochés et en répression, l’avait condamné à une peine d’un an d’emprisonnement assortie d’un sursis simple, le condamnant sur l’action civile à réparer les préjudices matériel et moral subis par l’association.

Toutes les parties ayant fait appel, la cour d’appel par un arrêt du 9 juin 2023 avait infirmé partiellement le jugement entrepris sur l’action publique, renvoyé le prévenu des fins de la poursuite des chefs de mise en danger d’autrui, déclaré le prévenu coupable des faits de dégradation volontaire et confirmé le jugement sur la déclaration de culpabilité pour le surplus.

Infirmant le jugement sur la peine, la cour d’appel avait condamné le prévenu à la peine d’emprisonnement délictuel de six mois assortie d’un sursis probatoire de deux ans en le soumettant notamment à l’obligation de s’abstenir de paraître sur les lots lui appartenant sur lesquels se trouve la servitude de passage.

La condamnation du prévenu à ne pas comparaître sur sa propriété découlait donc du dispositif de l’arrêt attaqué et cette éventualité n’avait nullement été débattue par les parties en première instance ni au cours des débats devant la cour d’appel.

Dans le cadre du pourvoi qu’il avait formé contre cet arrêt, le prévenu qui contestait également la déclaration de culpabilité, soutenait que le juge qui assortit une peine de six mois d’emprisonnement d’un sursis probatoire pendant une durée de deux ans comprenant  interdiction pour le prévenu de comparaître sur sa propriété, doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte portée au droit de propriété de l’intéressé et qu’en omettant de rechercher si le prononcé d’une interdiction pour le prévenu de paraître sur sa propriété du lot en question pendant une durée de deux ans, au titre du sursis probatoire prononcé à son encontre, n’entraînait pas une atteinte excessive à son droit de propriété eu égard aux faits pour lesquels il a été reconnu coupable, la cour d’appel n’avait pas justifié légalement sa décision au regard des articles 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, 544 du code civil et 593 du code de procédure pénale.

C’est ce moyen qui a été accueilli par la chambre criminelle et qui justifie la publication de l’arrêt rendu le 30 avril 2024 (pourvoi n° 23-83-845) au visa de l’article 1er du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme. La chambre criminelle précise que si le juge n’a pas à motiver les obligations particulières du sursis probatoire, il doit – au regard du texte conventionnel – apprécier le caractère proportionné de l’atteinte au droit de propriété de l’intéressé portée par la peine qu’il prononce lorsqu’une telle garantie est invoquée, ou procéder à cet examen d’office, lorsque les modalités d’une peine non prononcée en première instance et non requise par le ministère public privent le condamné de la jouissance de sa propriété.

Or, la Chambre criminelle relève que les juges n’ont pas recherché si l’atteinte au droit de propriété du prévenu, par l’interdiction de paraître en des lieux lui appartenant, était proportionnée.

Si les juges pouvaient prononcer cette sanction, bien qu’elle n’ait pas fait l’objet d’une discussion par les parties ni qu’elle ait été réclamée par le ministère public, dès lors qu’elle portait atteinte au droit de propriété, le juge devait d’office en apprécier la proportionnalité puisque le prévenu n’avait pas été en mesure de le demander.

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