Dans deux arrêts récents, le premier qui est mentionné aux Tables et le second publié au Recueil, le Conseil d’État a eu l’occasion de rappeler et préciser la nature juridique et le régime contentieux des décisions prises par les fédérations sportives.
Dans la première affaire (arrêt du 15 mars 2023, n° 466632), la Fédération Française de Billard (FFB) avait effectué une modification de ses statuts, afin notamment de les mettre en conformité avec les exigences légales, modification a été critiquée par trois ligues régionales de la FFB.
Dans la seconde affaire (arrêt du 29 juin 2023, n° 458088), la Fédération française de football (FFF) avait modifié l’article 1er de ses statuts pour interdire le port de tout signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance religieuse à l’occasion de compétitions ou de manifestations organisées par la FFF.
Dans les deux cas, les fédérations soutenaient que la juridiction administrative était incompétente pour connaître du litige.
Il ressort pourtant de deux arrêts célèbres du Conseil d’État (CE, Ass., 31 juillet 1942, Monpeurt, R. p. 239, CE, Sect., 13 janvier 1961, Magnier, R. p. 33) que l’acte d’un organisme de droit privé chargé de missions de service public est administratif, et donc relève de la compétence de la juridiction administrative, dès lors qu’il procède de l’exercice des prérogatives de puissances publique qui lui ont été conférés pour l’accomplissement de ses missions.
Cette jurisprudence a été appliquée aux fédérations sportives en 1974 (CE, sect., 22 nov. 1974, n° 89828). Il avait été jugé les fédérations sportives ayant reçu par délégation la mission d’organiser des compétitions nationales ou régionales, sont regardées, bien qu’elles soient des associations régies par la loi du 1er juillet 1901, comme ayant la charge de l’exécution d’un service public administratif. Dès lors, dans le cas où ces fédérations prennent, en application de la délégation ainsi consentie, des décisions qui s’imposent aux intéressés et constituent l’usage fait par elles des prérogatives de puissances publique qui leur ont été conférées, ces décisions ont le caractère d’actes administratifs et relèvent en tant que tels de la juridiction administrative.
Il était fait exception à cette règle lorsqu’était en cause une clause figurant dans les statuts. Ainsi, dans une décision du 12 décembre 2003, Syndicat national des enseignants professionnels de judo, Jujitsu (n°219113), le Conseil d’État avait dénié la compétence de la juridiction administrative pour connaitre d’une contestation portant sur certaines clauses des statuts d’une fédération sportive délégataire au seul motif que les statuts sont des actes de droit privé.
Dans sa décision du 15 mars, le Conseil d’État abandonne sa jurisprudence de 2003, affirmant que :
« Les décisions prises par les fédérations sportives, personnes morales de droit privé, sont, en principe, des actes de droit privé. Toutefois, en confiant, à titre exclusif, aux fédérations sportives ayant reçu délégation, les missions prévues aux articles L. 131-15 et L. 131-16 du code des sports, le législateur a chargé ces fédérations de l’exécution d’une mission de service public à caractère administratif. Les décisions procédant de l’usage par ces fédérations des prérogatives de puissances publique qui leur ont été conférées pour l’accomplissement de cette mission présentent le caractère d’actes administratifs. Il en va ainsi alors même que ces décisions seraient édictées par leurs statuts ».
En revanche, appliquant le critère ainsi défini, il constate que les dispositions des statuts critiquées ont trait à l’organisation et au fonctionnement interne de la fédération et ne manifestent pas l’usage de prérogatives de puissances publique dans l’exercice de sa mission de service public. Il en déduit donc que la juridiction administrative était incompétente.
En revanche, dans l’affaire relative à la Fédération française de football, le Conseil d’État a estimé que la juridiction administrative était bien compétente dès lors que :
« Par les dispositions litigieuses, la Fédération française de football doit être regardée comme ayant entendu fixer des règles applicables aux matchs des compétitions qu’elle organise ou des manifestations qu’elle autorise. Ces dispositions interdisent, pendant les matchs, outre les actes de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande, le port de signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale ».
Aussi, « alors même qu’elles ont été insérées dans ses statuts, ces dispositions sont prises par la Fédération en application des prérogatives de puissances publique qui lui sont conférées pour l’accomplissement de sa mission d’organisation des compétitions, et présentent dès lors un caractère administratif ».
En résumé, le seul fait qu’une règle soit fixée dans les statuts d’une fédération sportive délégataire ne lui confère plus, désormais, en soi, le caractère d’un acte de droit privé. Comme le note le rapporteur public dans l’affaire Ligue de billard d’Ile-de-France, « cette indifférence à l’égard du contenant est d’ailleurs une constante de votre jurisprudence, qui jamais ne fait primer l’instrumentum sur le negotium ». Il est donc mis fin à l’anomalie que constituait, à cet égard, la jurisprudence « Jujitsu ».