Nouvelle illustration de la théorie des « formalités impossibles »

Fabrice Sebagh

Le Conseil d’Etat, par une décision n° 450289 du 8 avril 2022 rendue en chambres réunies, a fait application de la théorie dite des « formalités impossibles », selon laquelle une décision administrative adoptée sans avoir préalablement respecté une règle de forme ou de procédure ne peut être regardée comme illégale lorsqu’il était impossible pour l’administration de la satisfaire (S. Saunier, La théorie des formalités impossibles ou l’impossible théorie, RFDA 2020. P. 1081 ; J. de Gliniasty, Les théories jurisprudentielles en droit administratif, LGDJ, 2018).
En l’espèce, les décisions attaquées émanaient du ministère de la culture et avaient pour objet l’organisation de ce ministère.

Elles étaient contestées par une union de syndicats notamment pour absence de consultation régulière du comité technique ministériel dans la mesure où le comité technique avait poursuivi l’examen de ces textes malgré le départ des organisations syndicales à 22h15.
Le Conseil d’Etat juge à ce titre que, lorsque par leur comportement, les membres d’un organisme qui doit être consulté par l’autorité administrative font « délibérément » obstacle au déroulement régulier de la procédure en quittant la séance à laquelle ils étaient conviés, la décision attaquée doit être regardée comme ayant été rendue dans des conditions régulières (v., par ex. : CE, 14 octobre 2005, Association Nodeloc, n° 259992, pt. 7 ; CE, 23 juin 1972, Sieur Pinabel, n° 81593, au Recueil, p. 481, pt. 1 ; CE, Sect., 8 juin 1962, Ministre des postes et télécommunications, n° 55252, au Recueil, p. 382, pt. 7 ; CE, Ass., 23 janvier 1931, Sieur Rondeau, n° 1113, au Recueil, p. 91, pt. 2).

Il en va de même de tout comportement ayant pour objet de faire obstacle :
– à la consultation régulière d’un organisme (CE, 7 décembre 2005, Mme X., n° 271211, pt. 3 ; CE, 18 mars 1981, Union générale des fédérations de fonctionnaires CGT, n° 03799, aux Tables, p. 577, pt. 2 ; CE, 16 novembre 1956, Sieur Pénicaut, n° 17391, au Recueil, p. 432, pt. 1 ; CE, Sect., 12 octobre 1956, Sieur Baillet, n° 94720, au Recueil, p. 356, pt. 3) ;
– ou au respect d’une règle de procédure (v., par ex. : CE, 5 décembre 1986, M. X., n° 54014, pt. 2 ; CE, 17 juin 1983, M X., n° 24887, aux Tables, pt. 4).

Par cette décision, le Conseil d’Etat fournit une nouvelle illustration de cette théorie des formalités impossibles, en relevant expressément les comportements de nature à faire obstacle au déroulement normal de la procédure.

Précisément, le Conseil d’Etat a constaté que le ministère avait procédé à une large consultation préalable, que les organisations syndicales avaient proposé un nombre important d’amendements de portée identique ou sans portée utile, que le climat était particulièrement tendu, caractérisé par de nombreux incidents de séance – autant de circonstances permettant de considérer que les organisations syndicales, en quittant la séance à 22h15, avaient exprimé ainsi leur refus de se prononcer sur les projets de texte restant à l’ordre du jour, de sorte que le comité technique devait être regardé comme ayant été effectivement consulté.
Ainsi, le Conseil d’Etat a considéré que si l’administration avait examiné les textes en dehors de la présence des organisations syndicales, c’est parce que le comportement de ses membres l’a contrainte de procéder ainsi.

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