Par un important arrêt rendu le 14 janvier 2021 (n° 19-18.844, P+I), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation avait précisé les pouvoirs du juge de l’exécution statuant en matière de saisie conservatoire, lorsqu’il est saisi d’une contestation de la caution (débiteur saisi) quant au caractère disproportionné de son engagement.
Dans le prolongement de cette jurisprudence, elle vient de préciser que les pouvoirs du juge de l’exécution, statuant en matière de saisie conservatoire, impliquent qu’il tranche la question soulevée par le débiteur saisi relative à la prescription de la créance applicable et à son point de départ pour apprécier l’existence d’une créance paraissant fondée en son principe de nature à autoriser la mesure conservatoire (Civ 2ème 27 mars 2025, n° 22-18.847).
En matière de mesures conservatoires, l’article L. 511-1, alinéa 1er du code des procédures civiles d’exécution énonce en effet que « Toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement ».
Au fond, l’affaire se présentait de la manière suivante : par acte sous seing privé en date du 20 août 2012, une banque avait consenti un prêt immobilier d’un montant de 230 000 euros à des époux.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 24 juin 2016, la banque, faisant état de doutes sur les déclarations effectuées par les époux lors de la conclusion du contrat de prêt, les avait informés de sa décision de clôturer leur compte.
Puis, par requête du 5 décembre 2019, elle avait sollicité du juge de l’exécution l’autorisation d’inscrire une hypothèque judiciaire provisoire sur le bien immobilier appartenant aux époux, laquelle avait été accueillie selon ordonnance sur requête du 17 décembre 2019. Le 31 janvier 2020, l’hypothèque judiciaire provisoire avait ainsi été publiée au service de la publicité foncière et par acte du 10 février 2020, la banque avait fait signifier aux époux le dépôt de bordereau d’inscription d’hypothèque judiciaire.
La banque avait ensuite, suivant acte délivré le 20 février 2020, fait assigner les époux devant le tribunal judiciaire aux fins d’obtenir la nullité du prêt du 20 août 2012 ainsi que la restitution des sommes prêtées.
En réaction, par acte d’huissier du 10 juin 2020, les époux avaient fait assigner la banque devant le juge de l’exécution pour obtenir la mainlevée de l’hypothèque judiciaire provisoire inscrite par la banque sur leur bien immobilier. Ils soutenaient que la créance n’était pas fondée en son principe car prescrite, précisant que le délai de prescription biennale de l’article L 218-2 du code de la consommation s’applique à tout type d’action née dans le cadre des biens et services fournis aux consommateurs, peu importe sa nature et/ou son objet.
Cette prétention avait été accueillie par jugement du 25 mai 2021 de sorte que la mainlevée avait été ordonnée.
Toutefois, sur appel de la banque par arrêt du 12 mai 2022, la cour d’appel de Paris a infirmé le jugement déféré en toutes ses dispositions et débouté les époux de leurs prétentions.
Pour rejeter la demande de mainlevée de la saisie-conservatoire, la cour d’appel a considéré que s’agissant du délai de prescription applicable, ce moyen ne pouvait être invoqué avec succès par les débiteurs que si cette prescription était manifeste et que tel n’était pas le cas puisque devait être tranché au préalable la question de savoir si l’action en justice intentée par la banque à l’encontre des époux devant le tribunal judiciaire était régie ou non par l’article L. 137-2 ancien du code de la consommation, devenu article L. 218-2 ainsi que la question de la fixation du point de départ de la prescription. Elle ajoutait que la mise en place d’une mesure conservatoire suppose uniquement un principe de créance apparemment fondé.
La Cour de cassation censure cette motivation en indiquant qu’il incombait au juge de l’exécution, afin d’apprécier l’existence d’une créance paraissant fondée en son principe, d’examiner les points litigieux tenant à la prescription applicable et à son point de départ.
Cette solution claire était loin d’être acquise puisque la Cour de cassation a régulièrement jugé que « le moyen ne tend qu’à remettre en cause le pouvoir souverain conféré par la loi au juge qui autorise une mesure conservatoire d’apprécier si la créance invoquée paraît fondée en son principe et s’il existe des menaces dans son recouvrement » (1re Civ., 6 octobre 2021, n° 20-14.288 ; 2e Civ., 15 mai 2014, n° 13-17.548. – V. aussi : 2e Civ., 5 septembre 2019, n° 18-13.361 ; 2e Civ., 6 septembre 2018, n° 17-16.187 ; Com., 29 mars 2017, n° 14-28.895 ; 2e Civ., 13 octobre 2016, n° 15-13.302, publié au Bull. 2016, II ; 1re Civ., 22 juin 2004, n° 01-10.892 ; 2e Civ., 4 octobre 2001, n° 99-21.330 ; 2e Civ., 17 mai 1993, n° 91-22.299 ; 2e Civ., 31 mai 1989, n° 88-12.881).
De plus, selon une autre jurisprudence, la Cour de cassation a souligné qu’il incombe au juge de l’exécution, en matière de saisie conservatoire « de rechercher l’existence, non pas d’un principe certain de créance, mais seulement d’une créance paraissant fondée dans son principe » (2e Civ., 3 mars 2022, n° 21-19.298).
Cette solution a donc le mérite de la clarté ; la question de la prescription de la créance lorsqu’elle est discutée entre dans l’office du juge de l’exécution pour apprécier si celle-ci est fondée en son principe.