Prescription et obstacle insurmontable à la mise en mouvement de l’action publique

Catherine Bauer-Violas

C’est en ces termes qu’est annoncée, sur le site de la Cour de cassation, l’audience qui se tiendra devant l’Assemblée plénière de le 28 novembre prochain.

  1. Voici pour rappel, les tristes faits à l’origine de ce débat juridique important.

Le 22 mai 1986, une jeune femme qui livrait des journaux dans la petite ville de Pontcharra, gare sa voiture devant un immeuble en milieu d’après-midi et est aperçue par une voisine, se dirigeant vers l’entrée.

Peu après, deux témoins entendent un cri. La jeune femme, Mme B ne réapparaîtra jamais.

Une enquête de recherche s’est déroulée du 22 au 30 mai 1986 et le même jour, une information judiciaire est ouverte pour séquestration.

En 1987, un non-lieu est rendu, confirmé par la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Grenoble, puis par la Cour de cassation en 1989.

En 2020, une nouvelle information judiciaire est ouverte contre personne non dénommée du chef d’enlèvement, détention ou séquestration de Mme B par le Procureur de la République de Grenoble.

En 2022, le propriétaire de l’immeuble, M. E, devant lequel Mme B s’était garée, avoue l’avoir tuée en 1986, après avoir eu une altercation avec elle. Des fragments osseux de la victime sont retrouvés grâce à ses indications.

Il est alors mis en examen pour homicide volontaire et arrestation, enlèvement, détention ou séquestration, sans libération volontaire avant le septième jour.

  1. La procédure

M. E demande l’annulation de sa mise en examen pour cause de prescription de l’action publique, demande rejetée par ordonnance du 15 novembre 2022.

Sur appel de M. E, la chambre de l’instruction de Grenoble rejette également la demande le 24 janvier 2023, considérant s’agissant de l’infraction d’homicide volontaire :

    • qu’un obstacle de fait – la dissimulation du corps et de la scène de crime – a empêché l’exercice des poursuites,
    • et que la prescription n’a commencé à courir qu’en 2022, lors des aveux.

M. E et le procureur général forment un pourvoi en cassation.

Le 28 novembre 2023 (23-80.599), la Chambre criminelle de la Cour de cassation casse et annule la décision du 24 janvier 2023.

Se fondant sur les articles 7 (ancien) et 9-3 du Code de procédure pénale, elle a considéré que la dissimulation du corps ou de la scène de crime ne constituait pas un obstacle insurmontable justifiant la suspension de la prescription de l’action publique.

L’affaire a donc été renvoyée devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Lyon.

Par arrêt du 6 décembre 2024, cette dernière a résisté en disant qu’il n’y avait pas lieu d’annuler la mise en examen de M. E des chefs de séquestration et meurtre.

M. E s’est pourvu en cassation et par ordonnance du 25 juin 2025, le premier président de la Cour de cassation a ordonné le renvoi de l’affaire devant l’assemblée plénière de la Cour de cassation.

3 – Enjeu

Il reviendra donc à la Cour de cassation réunie en Assemblée plénière de préciser si l’article 9-3 du Code de procédure pénale qui prévoit que « Tout obstacle de droit, prévu par la loi, ou tout obstacle de fait insurmontable et assimilable à la force majeure, qui rend impossible la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique, suspend la prescription » trouve ici à s’appliquer eu égard aux circonstances dans lesquelles l’infraction a été commise.

Cela impliquerait pour la Cour de cassation d’infléchir sa jurisprudence extrêmement restrictive sur la notion d’obstacle de fait. A ce jour, la présence d’un obstacle insurmontable n’a été admise qu’à deux reprises par la Cour de cassation dans le cas d’un meurtre. D’abord, en 2014 (7 novembre 2014 / n° 14-83.739), dans le cas d’homicides volontaires aggravés commis par l’auteure sur ses enfants à leur naissance, dès lors que nul n’a été en mesure de s’inquiéter de la disparition d’enfants nés clandestinement, morts dans l’anonymat et dont aucun indice apparent n’avait révélé l’existence. Ensuite en 2017, dans le cas d’un meurtre commis par deux amants ayant orchestré une mise en scène destinée à faire croire au départ volontaire de la victime (25 avril 2017 / n° 17-80.879).

Nous vous tiendrons bien entendu informés de l’issue de cette affaire.

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