Les garanties accordées aux majeurs protégés dans le cadre de la procédure pénale visent à compenser leur vulnérabilité et à assurer l’effectivité de leurs droits fondamentaux, au premier rang desquels figurent les droits de la défense. Ces garanties ont été renforcées par la loi du 5 mars 2007, réformant la protection juridique des majeurs, et intégrées dans les articles 706-112 et suivants du Code de procédure pénale.
Dans un arrêt du 2 septembre 2025 (24-82.392), la chambre criminelle de la Cour de cassation casse un arrêt de la cour d’appel de Rennes qui avait condamné M. J, majeur sous curatelle renforcée, sans respecter plusieurs de ces garanties. La Cour affirme que la violation des règles de protection des majeurs protégés constitue un grief en soi, sans qu’il soit besoin de démontrer une atteinte aux droits du prévenu.
M. J, placé sous curatelle renforcée, avait été poursuivi pour plusieurs infractions (violences aggravées, rébellion, outrage, vol, dégradation) commises entre 2019 et 2020. Condamné en son absence, à 12 mois d’emprisonnement en première instance, il interjette appel, mais la cour d’appel de Rennes confirme la peine sous la forme d’un sursis probatoire.
Devant la Cour d’appel, il soulève plusieurs exceptions de nullité : absence d’information du curateur et du juge des tutelles quant à l’existence de poursuites et quant à la date d’audience, non-désignation d’un curateur ad hoc alors que le curateur était victime de l’une des infractions, irrégularités lors de la garde à vue ou d’auditions libres.
La cour d’appel écarte ces moyens, estimant que M. J. ne démontre pas avoir subi de préjudice, et constatant que sa défense a été assurée in fine.
La question se posait donc de savoir si les irrégularités procédurales affectant les droits du requérant en tant que majeur protégé, pouvaient être neutralisées au motif qu’aucun grief concret n’était démontré ?
Pour rejeter la demande de Monsieur J, la Cour d’appel avait considéré que la violation des dispositions des articles 706-112 et suivants du CPP, en ce que celles-ci visent à protéger les droits du prévenu, ne pouvait entraîner la nullité des actes concernés que si le demandeur établit l’existence d’un grief au sens de l’article 802 du même code.
L’article 802 prévoit en effet :
« En cas de violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou d’inobservation des formalités substantielles, toute juridiction, y compris la Cour de cassation, qui est saisie d’une demande d’annulation ou qui relève d’office une telle irrégularité ne peut prononcer la nullité que lorsque celle-ci a eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la partie qu’elle concerne. »
La Cour casse l’arrêt de la Cour d’appel en toutes ses dispositions, pour violation des articles :
- 706-113 CPP (information du curateur et du juge des tutelles),
- 706-114 CPP (désignation d’un curateur ad hoc en cas de conflit d’intérêt),
- 706-112-1 CPP (délai de 6h pour informer le curateur en garde à vue),
- 706-112-2 CPP et 61-1 CPP (audition libre irrégulière),
- 593 CPP (défaut de réponse aux conclusions sur l’absence d’acte de poursuite).
Elle considère en effet au visa de l’article 706-113 que :
« La violation des dispositions ayant pour objet d’assurer l’assistance effective du majeur protégé dans l’exercice de la défense ou la préservation de ses droits fait nécessairement grief à l’intéressé. »
Ainsi, le grief est présumé, et la régularité de la procédure est considérée comme entachée, sans qu’il soit nécessaire de prouver une atteinte aux intérêts de la partie concernée.
Cette jurisprudence vient confirmer clairement une tendance déjà affirmée dans des arrêts antérieurs. Alors qu’au départ, la Chambre criminelle imposait la démonstration de l’existence d’un grief (Crim. 28 sept. 2011, n° 10-83.283), celui-ci semble désormais se présumer (v. 19 mars 2025, 25-80.106).
Par ailleurs, il faut noter aussi le récent arrêt de la Cour de cassation (Crim, 25 juin 2025, 25-90.013), renvoyant au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité suivante :
« Les dispositions de l’article 706-112-1 (dans sa rédaction résultant de la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020) du code de procédure pénale, en ce qu’elles n’imposent pas l’assistance obligatoire par un avocat d’une personne majeure sous tutelle placée en garde à vue, sont-elles conformes aux droits de la défense et au droit à un procès équitable et à une procédure juste et équitable garantis par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ? », arrêt qui signale, une fois encore, l’importance accordée aux droits de la défense des majeurs protégés.
Nous vous tiendrons informés de la décision du Conseil constitutionnel rendue dans cette affaire.