Il est reproché à ce dernier d’avoir versé en 2013 et 2014, par le biais de sa filiale syrienne, plusieurs millions d’euros à des groupes jihadistes, dont l’organisation État islamique (EI) et ce, afin de maintenir l’activité de sa cimenterie en Syrie.
Pour mémoire, dans un arrêt du 7 septembre 2021 (Req. n°19.87-367 – notre article), la Cour de cassation avait précisé les conditions dans lesquelles une entreprise pouvait être poursuivie pour complicité de crime contre l’humanité, financement d’une entreprise terroriste et mise en danger de la vie d’autrui.
Sur ce dernier point, elle avait prononcé la cassation de la décision de la Chambre de l’instruction qui confirmait l’ordonnance du juge d’instruction ainsi que la mise en examen de la société L. du chef de mise en danger de la vie d’autrui, aux motifs suivants :
« 55. Il lui appartenait dans un premier temps de rechercher, au regard notamment du règlement CE n° 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I), dont ses articles 8 et 9, et le cas échéant des autres textes internationaux, quelles étaient les dispositions applicables à la relation de travail entre la société L. et les salariés syriens.
56. Il lui incombait ensuite de déterminer celles de ces dispositions susceptibles de renfermer une obligation particulière de sécurité ou de prudence, au sens de l’article 223-1 du code pénal, ayant pu être méconnue (Crim., 13 novembre 2019, pourvoi n° 18-82.718, publié).
57. La cassation est par conséquent encourue de ce chef ».
A la suite de cette décision, la procédure a repris et au mois de mai 2022, la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris a confirmé la mise en examen de la société des chefs de mise en danger de la vie d’autrui, estimant notamment que le droit français était applicable du fait de l’immixtion permanente de la maison mère dans les activités de sa filiale syrienne.
C’est contre cet arrêt que la société L s’est pourvue, critiquant la décision de la Chambre de l’instruction en particulier sur la question des critères de rattachement au droit du travail français.
Pour soutenir l’inapplicabilité de celui-ci au litige, elle se fondait sur l’arrêt Schlecker du 12 septembre 2013 par la CJUE – selon lequel la loi applicable à un contrat de travail, qui est celle prévue par le contrat ou à défaut, celle du lieu d’accomplissement du travail, peut être écartée s’il s’avère que des liens plus étroits existent entre le contrat et un autre pays
Selon la société, la chambre de l’instruction aurait dû retenir le droit syrien du fait que les salariés recevaient leurs salaires en livres syriennes, qu’ils payaient leurs impôts en Syrie et que leur activité était exercée uniquement en Syrie.
A cet argument il a été répondu que la Chambre de l’instruction avait bien considéré ces éléments mais pour les juger insuffisants.
C’est donc au sens large qu’il faut entendre la relation de travail et c’est ce qu’a fait la Chambre de l’instruction en relevant :
– l’immixtion permanente de la maison mère dans la gestion économique et sociale de sa filiale du fait notamment qu’elle s’occupait de la gestion des ressources humaines de la filiale,
– qu’elle encadrait les règles de sécurité qui étaient applicables à la filiale et aux salariés,
– qu’elle assurait le recrutement et la gestion de la carrière des cadres de la filiale,
– de sorte que la filiale n’avait pas d’autonomie décisionnelle dans les domaines de la formation, de la mobilité et du recrutement.
L’affaire a été mise en délibéré et l’arrêt sera rendu le 14 mars prochain. Nous ne manquerons pas de vous en faire part.