Deux arrêts récents rendus en matière de fonction publique (CE 22 mai 2024, Req. 478936 et 478925), permettent de revenir sur la méthodologie de l’appréciation de la condition d’urgence en matière de référé-suspension.
En l’occurrence, deux fonctionnaires avaient fait l’objet d’une sanction disciplinaire d’exclusion de la part, de leur employeur, un département.
Sur requête des deux fonctionnaires, le juge des référés du tribunal administratif avait suspendu l’exécution de ces décisions et ordonné au président du conseil départemental de réintégrer les intéressés dans leurs fonctions, dans le délai d’une semaine à compter de la notification de l’ordonnance.
Le Département a sollicité l’annulation de ces décisions devant le Conseil d’État.
Répondant aux moyens soulevés, la Haute juridiction a d’abord estimé que le juge administratif avait commis une erreur de droit en n’examinant la condition d’urgence qu’au regard de l’intérêt du requérant, sans rechercher, comme le département l’y invitait, si l’intérêt du service ne justifiait pas l’absence de réintégration du défendeur, dans l’attente de la décision du juge du fond saisi d’un recours en annulation contre la sanction.
Il est ainsi rappelé, selon les mots du Président Jean-Marc Sauvé, que :
« Appréciée in concreto, l’urgence est le résultat d’une double pesée, à la fois subjective et objective, des circonstances de l’espèce ».
Sont donc mis en balance, d’un côté, la situation concrète du demandeur qui doit démontrer qu’il est porté une atteinte grave et immédiate à sa situation, et de l’autre l’ensemble des intérêts publics ou privés en présence.
En l’espèce, la perte de revenus qu’impliquait pour les défendeurs, la sanction d’exclusion dont ils ont fait l’objet, a été logiquement considérée comme créant une situation d’urgence.
Le conseiller Thomas Pez-Lavergne dans ses conclusions sous l’arrêt du 7 février 2023 (Req n°460105) indique en effet :
« S’il n’existe pas de présomption d’urgence tirée de la situation financière d’un agent public (y compris en cas de mesure d’éviction le privant de la totalité de ses revenus), une décision amputant ses revenus de manière significative conduit presque systématiquement, dans votre jurisprudence, à reconnaître l’urgence. Vous avez même jugé qu’un agent public ayant fait l’objet d’une mesure d’éviction qui le prive de sa rémunération n’est pas tenu de fournir de précisions sur ses ressources et ses charges ou celles de son foyer à l’appui de sa demande de suspension de l’exécution de cette mesure (CE 1/6 SSR, 24 juillet 2009, Mme G, n° 325638, concl. A. Courrèges) et que le juge des référés qui exige une telle démonstration plus poussée, à défaut de contestation précise de la part de l’administration, commet une erreur de droit (même décision) ».
Pour autant, le juge des référés aurait dû mettre en balance cette situation avec les dysfonctionnements du service liés aux fautes commises (V. CE 12 janvier 2018, Req. n°411181).
C’est ainsi que le Conseil d’État a considéré que le juge des référés du tribunal administratif avait entaché son ordonnance d’erreur de droit et d’insuffisance de motivation en n’appréciant la condition d’urgence qu’au regard de la seule atteinte aux intérêts des défendeurs, sans mettre celle-ci en balance avec l’intérêt du service.
Les ordonnances rendues par le Tribunal Administratif ont été annulées et le Conseil d’État a choisi de régler l’affaire « au titre de la procédure de référé engagée ».
Se plaçant sur le terrain du doute sérieux sur la légalité de la décision, le Conseil d’État a considéré, contrairement au Tribunal administratif qui avait retenu les moyens tirés de l’erreur matérielle d’une partie au moins des faits retenus pour fonder les griefs qui motivent l’exclusion temporaire et de la disproportion de la sanction, qu’en l’état de l’instruction, aucun des moyens soulevés n’était de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté contesté.