Saisie conservatoire de navires en mer : quand alléguer une créance maritime est suffisant

Fabrice Sebagh

Dans un très récent arrêt (Com. 10 septembre 2025, n° 24-12.424), la Cour de cassation s’est prononcée sur les conditions de la saisie conservatoire de navires de mer en application de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952, et plus précisément sur la loi applicable à l’appréciation des conditions de la saisie et à la nature maritime de la créance.

La question posée à la Cour de cassation était de déterminer si la mainlevée d’une saisie conservatoire de navire pouvait être subordonnée à l’appréciation du bien-fondé de la créance au regard du droit interne (français), ou si la seule allégation d’une créance maritime au sens de la Convention de Bruxelles de 1952 suffisait à légitimer cette saisie.

Les faits

En l’espèce, une société de droit algérien AL exerçant l’activité de transport maritime de marchandises, avait conclu avec la société GMA, de droit algérien également, un contrat d’affrètement à temps sous la forme d’une charte-partie.

La société AL n’a pourtant pas été en mesure de disposer du navire que la société GMA s’était engagée à lui louer aux termes de la charte-partie.

Alléguant une créance ayant pour cause la charte-partie, la société AL a dès lors été autorisée, par ordonnance à saisir à titre conservatoire le navire en question dans le port de Sète.

La société GMA a assigné la société AL en mainlevée de la saisie conservatoire et en réparation de son préjudice. L’ensemble de ses demandes ont été rejetées par ordonnance en date du 9 décembre 2021. A sa requête, la Cour d’appel a, le 3 mai 2022, infirmé cette dernière ordonnance.

Après avoir énoncé qu’en vertu de l’article 6 alinéa 2 de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952, les règles de procédure relatives à l’obtention de l’autorisation de la saisie sont régies par le droit interne, l’arrêt d’appel retenait pour ordonner la mainlevée de la saisie conservatoire du navire, que si la société AL se prévalait d’une créance qui relève bien du champ d’application de l’article 1er de la Convention, cette créance ne paraissait pas suffisamment fondée en son principe au sens de l’article L. 5114-22 du code des transports.

C’est contre cette décision que la société AL s’est pourvue en cassation.

Droit applicable

Il convient de rappeler que la Convention internationale pour l’unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires de mer conclue à Bruxelles le 10 mai 1952 a été ratifiée par la France en 1957.

En 1964, l’Algérie a également ratifié cette Convention.

Au cas présent, aux termes de l’article 8.1 de la Convention de Bruxelles de 1952, « les dispositions de la présente Convention sont applicables dans tout Etat Contractant à tout navire battant pavillon d’un Etat Contractant ».

Elle est donc applicable à la saisie d’un navire battant pavillon algérien, appartenant à une société algérienne, exploitée par une société algérienne, dans un port français.

Partant, les conditions de saisie conservatoire et de mainlevée d’une telle saisie relèvent de l’application de la Convention de Bruxelles.

L’article 1 de la Convention dispose d’une part :

« Dans la présente Convention, les expressions suivantes sont employées, avec les significations indiquées ci-dessous :

  1. « Créance Maritime » signifie allégation d’un droit ou d’une créance ayant l’une des causes suivantes :

(…) ;

  1. Contrats relatifs à l’utilisation ou la location d’un navire par charte-partie ou autrement ; ».

L’article ­6 alinéa 2 prévoit d’autre part :

« Les règles de procédure relatives à la saisie d’un navire, à l’obtention de l’autorisation visée à l’art. 4 et à tous autres incidents de procédure qu’une saisie peut soulever sont régies par la loi de l’État Contractant dans lequel la saisie a été pratiquée ou demandée ».

La Cour d’appel avait donc considéré que ces deux articles devaient être combinés pour considérer qu’en vertu de la loi française – ici applicable – la mise en œuvre de la saisie devait être subordonnée à l’existence d’une créance fondée en son principe par application de l’article L 5114-22 du Code des transports.

L’autonomie du régime juridique créé par la Convention de Bruxelles

Au visa des articles, 1er, 2 et 6 de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel, estimant :

« Qu’il résulte de ces dispositions que si les règles de procédure relatives à l’obtention de l’autorisation de saisir un navire sont régies par la loi de l’Etat contractant dans lequel la saisie a été demandée, la simple allégation par le saisissant de l’existence, à son profit, de l’une des créances maritimes visées à l’article 1er de la Convention, suffit à fonder son droit de saisir le navire auquel cette créance se rapporte.

Ce faisant, elle reprend une jurisprudence déjà exposée dans un précédent arrêt du 13 septembre 2023 (Com. 13 sept. 2023, n°20-21.546) dans lequel la société débitrice soutenait que, si l’article 1 de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952 vise la simple allégation, il doit être compris en relation avec l’article 9 selon lequel la convention ne saurait créer un droit qui n’existerait d’après la loi du for.

Or, selon la loi française du for, une saisie conservatoire de navire ne peut être pratiquée que sur la base d’une créance paraissant fondée en son principe.

A ce moyen la Cour avait alors répondu :

« 7. Il résulte des dispositions de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952 pour l’unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires de mer que la simple allégation par le saisissant de l’existence, à son profit, de l’une des créances maritimes visées à l’article 1, 1 de ce traité suffit à fonder son droit de saisir le navire auquel cette créance se rapporte.

8. Ayant constaté que la créance alléguée était de nature maritime, la cour d’appel, dès lors que cette créance se rapportait au navire saisi, a, à bon droit, rejeté les demandes tendant à la rétractation de l’ordonnance autorisant la saisie conservatoire du navire et à la mainlevée de cette saisie ».

Il s’agit donc ici de préserver la souplesse du régime mis en œuvre la Convention de 1952 qui vise à permettre au créancier de faire pression sur son débiteur (Rép. Proc. Civ.,  Saisie des bateaux, navires et aéronefs, déc. 2014, par J-B. Racine, actu. par G. Payan, spéc. n°s 41 s).

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