Indivisibilité de l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur

Catherine Bauer-Violas

Par un arrêt du 6 juin 2024 (Civ., 2ème 6 juin 2024, n° 22-13.401, à paraître sur Légifrance, et reproduit ci-dessous), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation statuant en matière de contentieux de sécurité sociale, rappelle au visa des articles L. 452-2, L. 452-3 et L. 452-4 du code de la sécurité sociale, 553, 554 et 555 du code de procédure civile que l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, formée par la victime ou ses ayants droit, doit être nécessairement dirigée contre l’employeur de celle-ci, en présence de la caisse de sécurité sociale. Il en résulte qu’il existe un lien d’indivisibilité entre les parties.

En cas d’indivisibilité à l’égard de plusieurs parties, l’appel de l’une produit effet à l’égard des autres même si celles-ci ne se sont pas jointes à l’instance et l’appel formé contre l’une n’est recevable que si toutes sont appelées à l’instance.

Il découle également de la combinaison des articles 554 et 555 du code de procédure civile que l’intervention forcée en cause d’appel ne peut être formée qu’à l’encontre des personnes qui n’ont été ni parties, ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité.

Par conséquent, l’appel étant, en matière de procédure sans représentation obligatoire, en application des articles R. 142-11 du code de la sécurité sociale et 932 du code de procédure civile, formé par déclaration que la partie ou tout mandataire fait ou adresse, par pli recommandé, au greffe de la cour d’appel, les parties que l’appelant a omis d’intimer, doivent être appelées à l’instance par voie de déclaration d’appel.

Le moyen soulevé par le pourvoi de la victime d’une maladie professionnelle reprochait justement à la cour d’appel d’avoir déclaré recevable l’appel de l’employeur contre le jugement qui avait retenu sa faute inexcusable et qui contestait cette recevabilité, aux motifs que la caisse avait été assignée en intervention forcée par acte du 30 septembre 2020, en sorte que toutes les parties avaient été appelées à l’instance.

Or, la caisse de sécurité sociale de la Guadeloupe était partie au litige et non un tiers à la procédure. Non seulement, elle avait été appelée à la cause en première instance et s’en était rapportée à justice, mais encore avait-elle, ainsi que la cour d’appel l’a indiqué en première page de sa décision, la qualité d’intimée.

Dans ces conditions, l’appel formé par l’employeur exclusivement à l’encontre de la victime et non contre la caisse de sécurité sociale de la Guadeloupe était irrecevable, quand bien même cette dernière avait été assignée en intervention forcée.

La cassation était donc imparable.

Elle intervient sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure de mettre fin elle-même au litige, en déclarant l’appel de l’employeur irrecevable et revêt un effet utile immédiat pour la victime de la maladie professionnelle puisque le jugement qui avait reconnu la faute inexcusable de l’employeur et lui avait alloué une rente majorée, devient définitif.

 

R É P U B L I Q U E   F R A N Ç A I S E

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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE,

DU 6 JUIN 2024

M. C, domicilié à  ////, a formé le pourvoi n°W 22-13.401 contre l’arrêt n  RG : 18/01596 rendu le 22 février 2021 par la cour d’appel de Basse-Terre (chambre sociale), dans le litige l’opposant :

1 / à la société GM, société par actions simplifiée, dont le siège est ////,

2 / à la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe, dont le siège est ////

défenderesses à la cassation.

Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur  le  rapport  de  Mme  Coutou,  conseiller,  les  observations  de  la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. C, de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société GM, et l’avis de M. Gaillardot, premier avocat général, après débats en audience publique du 29 avril 2024 où étaient présentes Mme Martinel, président,  Mme  Coutou,  conseiller  rapporteur,  Mme  Renault-Malignac, conseiller doyen, et Mme Gratian, greffier de chambre, la  deuxième  chambre  civile  de  la  Cour  de  cassation,  composée  des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

  1. Selon l’arrêt attaqué (Basse-Terre, 22 février 2021), la caisse générale de sécurité sociale  de  la  Guadeloupe  (la  caisse)  a  reconnu,  le 22 décembre 2015, le caractère professionnel des maladies déclarées par M. C (la victime), salarié de la société GM (l’employeur).
  2. La victime a saisi une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale d’une demande en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.
  3. Un tribunal des affaires de sécurité sociale, devant lequel la caisse avait été appelée en  la  cause,  ayant  accueilli  cette  demande,  l’employeur  a interjeté appel de ce jugement.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

  1. La victime fait grief à l’arrêt de déclarer recevable l’appel de l’employeur, alors « qu’en cas d’indivisibilité à l’égard de plusieurs parties, l’appel formé contre l’une n’est recevable que si toutes sont appelées à l’instance, ce qui suppose qu’elles aient fait l’objet d’un acte d’appel, l’intervention forcée étant réservée aux seuls  tiers  à  la  première  instance  ;  que  dans  un  litige  en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur opposant ce dernier à  la  victime  et  à  la  caisse  de  sécurité  sociale,  il  existe  un  tel  lien d’indivisibilité  entre  les  parties  en  ce  qu’il  résulte  des  articles  L.  452-2, L.  452-3  et  L.  452-4  du  code  de  la  sécurité  sociale  que  l’action  en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, formée par la victime ou ses ayants droit, doit être nécessairement dirigée contre l’employeur de celle-ci, en présence de la caisse de sécurité sociale ; qu’en énonçant, pour déclarer recevable l’appel de l’employeur, que la caisse a été assignée en intervention forcée par acte du 30 septembre 2020, en sorte que toutes les parties ont été appelées à l’instance, la cour d’appel a violé l’article 553 du code de procédure civile, ensemble les articles L. 452-2, L. 452-3 et L. 452-4 du code de la sécurité sociale. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

  1. L’employeur conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que le moyen serait nouveau, la victime n’ayant pas prétendu devant les juges d’appel que la partie que l’appelant a omis d’intimer doit nécessairement être appelée à l’instance par voie d’acte d’appel et non par la voie de l’intervention forcée car celle-ci serait réservée aux seuls tiers à la première instance.
  2. Cependant, la victime a soutenu, dans ses conclusions, visées par l’arrêt, que l’employeur n’ayant dirigé son appel que contre sa personne, alors que la caisse était également partie à l’affaire, l’appel était irrecevable, en raison de l’indivisibilité du litige, et ce, peu important l’appel en intervention forcée de cette partie.
  3. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles L. 452-2, L. 452-3 et L. 452-4 du code de la sécurité sociale, 553, 554 et 555 du code de procédure civile :

  1. En application des trois premiers de ces textes, l’action en reconnaissance de la faute  inexcusable  de  l’employeur,  formée  par  la  victime  ou  ses ayants droit, doit être nécessairement dirigée contre l’employeur de celle-ci, en présence de la caisse de sécurité sociale. Il en résulte qu’il existe un lien d’indivisibilité entre les parties.
  2. Aux termes du quatrième de ces textes, en cas d’indivisibilité à l’égard de plusieurs parties, l’appel de l’une produit effet à l’égard des autres même si celles-ci ne se sont pas jointes à l’instance et l’appel formé contre l’une n’est recevable que si toutes sont appelées à l’instance.
  3. Il résulte  de  la  combinaison  des  deux  derniers  de  ces  textes  que l’intervention forcée en cause d’appel ne peut être formée qu’à l’encontre des personnes qui n’ont été ni parties ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité.
  4. Par conséquent,  l’appel  étant,  en  matière  de  procédure  sans représentation obligatoire, en application des articles R. 142-11 du code de la sécurité sociale et 932 du code de procédure civile, formé par déclaration que la partie ou tout mandataire fait ou adresse, par pli recommandé, au greffe de la cour d’appel, les parties que l’appelant a omis d’intimer doivent être appelées à l’instance par voie de déclaration d’appel.
  5. Pour déclarer  recevable  l’appel  interjeté  le  12  décembre  2018  par l’employeur, l’arrêt retient que la caisse a été assignée en intervention forcée par acte du 30 septembre 2020, de sorte que toutes les parties ont été appelées à l’instance d’appel.
  6. En statuant ainsi, alors que la caisse, mise en cause devant le tribunal des affaires de  sécurité  sociale,  ne  pouvait  être  intimée  par  la  voie  de l’intervention forcée qui est réservée à la mise en cause des tiers, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

  1. Après avis donné aux parties, conformément à l’article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l’organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
  2. L’intérêt d’une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
  3. Il résulte de ce qui a été dit aux paragraphes 8 à 11 et 13 que l’appel interjeté par l’employeur est irrecevable.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE  ET  ANNULE,  en  toutes  ses  dispositions,  l’arrêt  rendu  le 22 février 2021, entre les parties, par la cour d’appel de Basse-Terre ;

DIT n’y avoir lieu à renvoi ;

DÉCLARE l’appel interjeté par la société GM irrecevable ;

Condamne la société GM aux dépens, en ce compris ceux exposés devant la cour d’appel de Basse-Terre ;

En  application  de  l’article  700  du  code  de  procédure  civile,  rejette  la demande  formée  par  la  société  Guadeloupe  mobilier,  tant  au  titre  de l’instance devant la Cour de cassation que de celle devant la cour d’appel, et la condamne à payer à M. C la somme de 3 000 euros, tant au titre de l’instance devant la Cour de cassation que de celle devant la cour d’appel ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

 Ainsi  fait  et  jugé  par  la Cour  de  cassation,  deuxième  chambre  civile,  et prononcé par le président en son audience publique du six juin deux mille vingt-quatre.

 

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