La chambre criminelle est contrainte de rappeler une nouvelle fois (Crim. 6 juin 2023, Req. n°22-85120) au visa général de l’article 111-3 du code pénal, selon lequel nul ne peut être puni pour une contravention dont les éléments ne sont pas définis par le règlement, que l’infraction de participation à une manifestation interdite sur la voie publique telle prévue par l’article R. 644-4 du code pénal ayant fondé la poursuite, en l’espèce la participation à une démonstration non déclarée de Greenpeace devant le ministère de la transition écologique, ne peut donner lieu à une condamnation, dès lors que ni l’article R. 644-4, ni aucune autre disposition légale ou règlementaire n’incrimine le seul fait de participer à une manifestation non déclarée.
L’article R. 644-4 du code pénal a été introduit dans le code pénal par le décret n° 2019-208 du 20 mars 2019 instituant une contravention pour participation à une manifestation interdite sur la voie publique.
Il prévoit que « Le fait de participer à une manifestation sur la voie publique interdite sur le fondement des dispositions de l’article L. 211-4 du code de la sécurité intérieure est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe ». Et, l’article L. 211-4 du code de la sécurité intérieure dispose que « Si l’autorité investie des pouvoirs de police estime que la manifestation projetée est de nature à troubler l’ordre public, elle l’interdit par un arrêté qu’elle notifie immédiatement aux signataires de la déclaration au domicile élu. (…). Si le maire, compétent pour prendre un arrêté d’interdiction, s’est abstenu de le faire, le représentant de l’Etat dans le département peut y pourvoir dans les conditions prévues à l’article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales ».
Il faut rappeler que le décret du 20 mars 2019 a été pris dans le contexte des manifestations des Gilets jaunes et plus particulièrement, entre le vote définitif par le Sénat de la proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations, dont l’une des dispositions habilitait les préfets à prononcer une interdiction individuelle de manifester contre certaines personnes dont les
« agissements à l’occasion de manifestations sur la voie publique » permettaient de penser qu’elles constituaient « une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public », et son examen par le Conseil constitutionnel.
Toutefois, le Conseil constitutionnel a, le 4 avril 2019, déclaré non conforme la disposition susvisée au motif que « le législateur [avait] porté au droit d’expression collective des idées et des opinions une atteinte qui n’est pas adaptée, nécessaire et proportionnée» (Cons. const., 4 avril 2019, n° 2019-780 DC, § 26).
Ainsi, à défaut de consécration dans la loi d’un pouvoir d’interdiction individuelle de manifester, le pouvoir réglementaire a prévu une infraction réprimant la méconnaissance de l’interdiction collective de manifester édictée par l’arrêté du préfet ou du maire pour un motif tenant à l’ordre public.
La contravention de l’article R. 644-4 du code pénal suppose ainsi pour sa constitution un acte de participation, à une manifestation sur la voie publique, qui a été interdite par arrêté préfectoral ou municipal pour un motif tenant à l’ordre public.
Selon la chambre criminelle, une manifestation est constituée par « tout rassemblement, statique ou mobile, sur la voie publique d’un groupe organisé de personnes aux fins d’exprimer collectivement et publiquement une opinion ou une volonté commune » (Crim. 9 février 2016, n° 14-82.234, publié au bull.).
Mais, cette manifestation doit avoir été interdite par arrêté.
En l’absence d’arrêté portant interdiction de la manifestation, l’infraction ne saurait être constituée.
Dès lors, le fait de participer à une manifestation non déclarée ne constitue pas la contravention de l’article R. 644-4 du code pénal et la chambre criminelle a déjà pris soin de préciser qu’il ne peut être déduit de la non-déclaration de la manifestation une interdiction, cette interdiction devant résulter de l’arrêté (Crim. 14 juin 2022, nos 21-81.054, 21-81.061, 21-81.066, 21-81.072 et 21-81.078). Ni l’article R. 644-1 du code pénal [en réalité R. 644-4], ni aucune autre disposition légale ou réglementaire n’incrimine le seul fait de participer à une manifestation non déclarée.
Elle a d’ailleurs, par trois arrêts du 8 juin 2022, retenu de la même façon, alors que le premier juge avait requalifié les faits initialement poursuivis sur le fondement de l’article R. 644-4 du code pénal en contravention prévue par l’article R. 610-5 du même code et avait déclaré le prévenu coupable de cette infraction au motif que la manifestation n’était pas déclarée et était donc prohibée, que « ni l’article R. 610-5 du code pénal ni aucune autre disposition légale ou réglementaire n’incrimine le seul fait de participer à une manifestation non déclarée » (Crim. 8 juin 2022, nos 21-82.451, 21-82.453 et 21-82.454). Cet article rappelons le, prévoit que la violation des interdictions ou le manquement aux obligations édictées par les décrets et arrêtés de police sont punis de l’amende prévue pour les contraventions de la 1re classe.
Quel que soit le fondement invoqué, l’incrimination de participation à une manifestation non déclarée ne peut donner lieu à condamnation en vertu du principe de légalité des délits et des peines.