Une société de construction de droit français, X, a été poursuivie pour des agissements survenus au sein d’une société qatarie dont elle détenait 49% du capital, pour des faits de :
- rétribution inexistante ou insuffisante du travail d’une personne vulnérable ou dépendante,
- soumission d’une telle personne à des conditions de travail ou d’hébergement contraires à la dignité humaine
- et travail forcé,
- chacun de ces délits étant aggravés du fait de la pluralité des victimes.
La chambre de l’instruction a confirmé la mise en examen prononcée par le juge d’instruction, mais la société X a saisi la Cour de cassation de cette décision.
Elle soulevait à l’appui de son pourvoi deux moyens, dont le premier relatif à la compétence des juridictions françaises, qui a spécialement retenu l’attention de la chambre criminelle reprochant à la chambre de l’instruction d’avoir considéré à tort que le juge français pouvait enquêter sur la responsabilité de la société X, dès lors que les faits s’étaient déroulés au Qatar.
Pour mémoire, l’article 113-2 du code pénal dispose :
« La loi pénale française est applicable aux infractions commises sur le territoire de la République. L’infraction est réputée commise sur le territoire de la République dès lors qu’un de ses faits constitutifs a eu lieu sur ce territoire ».
Son article 113-6 du Code pénal précise que :
« La loi pénale française est applicable à tout crime commis par un Français hors du territoire de la République.
Elle est applicable aux délits commis par des Français hors du territoire de la République si les faits sont punis par la législation du pays où ils ont été commis.
(…).
L’article 113-8 du même code indique enfin :
« Dans les cas prévus aux articles 113-6 et 113-7, la poursuite des délits ne peut être exercée qu’à la requête du ministère public. Elle doit être précédée d’une plainte de la victime ou de ses ayants droit ou d’une dénonciation officielle par l’autorité du pays où le fait a été commis ».
Il résulte de ces dispositions que :
- L’article 113‑6, al. 2 permet de poursuivre en France un délit commis à l’étranger par une personne morale de nationalité française, à condition que les faits soient également punis par la législation du pays du lieu de commission de l’infraction.
- L’article 113‑8 du code pénal subordonne les poursuites, pour les infractions commises à l’étranger à la plainte préalable de la victime ou à la dénonciation officielle de l’État étranger, ainsi qu’à la mise en mouvement de l’action publique par le ministère public.
En l’espèce, la Cour a constaté successivement :
Que la Chambre de l’instruction a bien vérifié que l’exigence de réciprocité d’incrimination était remplie, quand bien même les faits concernés ne sont pas incriminés dans les mêmes termes. Elle a relevé en l’occurrence la ratification par le Qatar des conventions OIT n° 29, 81 et 105.
Que des plaintes avec constitution de partie civile ont été déposées par plusieurs travailleurs étrangers concernés, suivies de réquisitions d’informer du parquet, condition suffisante au sens de l’article 113‑8. L’arrêt est d’ailleurs fiché sur ce point : « le réquisitoire aux fins d’informer sur les faits dénoncés par une plainte avec constitution de partie civile est une requête du ministère public au sens de l’article 113-8 du code pénal ».
La Cour en a déduit qu’il y a lieu de rejeter le moyen tiré de ce que les juridictions françaises seraient incompétentes pour connaître des faits en cause, écartant implicitement la critique tirée de ce qu’un élément matériel de chacun des délits devrait se dérouler en France.
Cet arrêt fait suite à une récente affaire dans laquelle un cimentier français avait vu sa mise en examen confirmée pour financement du terrorisme et complicité de crime contre l’humanité pour des faits commis en Syrie. Il en résulte que des personnes morales françaises peuvent être jugées en France pour leur participation – même indirecte – à des atteintes graves aux droits humains commises par leurs filiales à l’étranger, dès lors que les conditions procédurales des articles 113‑6 et 113‑8 sont strictement observées.