Pas de présomption de préjudice du bailleur en cas d’inexécution par le preneur de ses obligations locatives

Catherine Bauer-Violas

Lorsqu’un preneur à bail n’exécute pas les obligations d’entretien et de restitution du bien loué que le code civil met à sa charge et qu’il est ainsi présumé avoir commis une faute contractuelle, cette inexécution ouvre-telle droit par principe à l’indemnisation du bailleur ou faut-il que ce dernier rapporte la preuve de ce qu’il a subi un préjudice ?

C’est la question à laquelle la Cour de cassation a répondu récemment (pourvoi n°22-24.502)procédant ainsi à une clarification jurisprudentielle.

Les faits de l’espèce sont simples. Une SCI avait donné à bail à une société, un local commercial en 1992. En 2016, la société en question donne son congé et restitue les locaux et les clés à la date d’effet du congé.

Trois ans plus tard, le bailleur l’assigne aux fins d’obtenir sa condamnation à lui payer des dommages-intérêts au titre des travaux de remise en état des locaux, ainsi qu’une somme correspondant à la régularisation des charges et des impôts fonciers. Le premier juge a fait droit à ses demandes.

Sur appel du preneur qui soutenait que les lieux avaient été vite reloués dans des conditions plus favorables et sans réalisation de travaux, la Cour a maintenu le principe d’une condamnation en minorant le montant des dommages-intérêts, rappelant que le bailleur avait produit un devis mais qu’il n’était pas tenu à un engagement effectif des dépenses, ni à la justification d’une perte de valeur locative du bien.

Le preneur s’est pourvu en cassation contre cette décision (II).

Avant d’exposer son argumentation, il convient d’abord de rappeler les règles applicables à la restitution du bien loué (I).

I – Le locataire est tenu d’une obligation de restitution lorsque le contrat de bail prend fin. Si un état des lieux a été fait entre le bailleur et le preneur, ce dernier, à la cessation du bail, doit « rendre la chose telle qu’il l’a reçue, suivant cet état, excepté ce qui a péri ou a été dégradé par la force majeur » conformément à l’article 1730 du code civil.

L’intérêt essentiel de l’état des lieux est de prouver l’état du bien à l’entrée en jouissance du preneur afin d’en exiger la restitution dans le même état.

En revanche, selon l’article 1731 du code civil, « s’il n’a pas été fait d’état des lieux, le preneur est présumé les avoir reçus en bon état de réparations locatives, et doit les rendre tels, sauf la preuve contraire ».

En d’autres termes, en l’absence d’un état des lieux, le locataire est présumé avoir reçu le bien en bon état de réparations locatives et doit donc le rendre dans ce même état (Civ. 3ème, 16 mai 2000, no 98-20.232).

Les règles de répartition entre le preneur et le bailleur des frais d’entretien et de réparation de la chose louée sont fixées par le code civil.

Ainsi, selon l’article 1732 du code civil, le locataire « répond des dégradations ou des pertes qui arrivent pendant sa jouissance, à moins qu’il ne prouve qu’elles ont eu lieu sans sa faute ».

L’inexécution de ses obligations par l’une des parties peut conduire à la mise en jeu de sa responsabilité civile contractuelle, selon les règles du droit commun à l’exception de la responsabilité du preneur pour les dégradations et les pertes.

Après avoir considéré que « l’indemnisation du bailleur en raison de l’inexécution par le preneur des réparations locatives prévues au bail n’est subordonnée ni à l’exécution de ces réparations ni à la justification d’un préjudice » (Civ. 3e, 30 janvier 2002, Bull., 2002, II, n° 17, no 00-15.784), la Cour de cassation est revenue sur sa position.

Elle considère désormais que « des dommages-intérêts ne peuvent être alloués que si le juge, au moment où il statue, constate qu’il est résulté un préjudice de la faute contractuelle » (Civ. 3ème, 3 décembre 2003, Bull., 2003, III, n° 221, p. 196, n° 02-18033).

II – C’est dans ce cadre que le preneur a formé son pourvoi.

Il soutenait que les juges du fond n’avaient pas constaté le préjudice de la bailleresse et rappelait qu’une faute contractuelle n’impliquant pas nécessairement par elle-même l’existence d’un dommage en relation de cause à effet avec cette faute, le juge est tenu, pour allouer des dommages et intérêts, de constater, lorsqu’il statue, qu’il est résulté un préjudice de la faute contractuelle (Civ. 1ère, 22 novembre 2017, n°16-27.551).

III – Suivant cette argumentation, la Cour de cassation a cassé en sa totalité l’arrêt attaqué.

Sa décision est rendue au visa général des articles du code civil ancien et nouveau concernant la responsabilité contractuelle et le principe de réparation intégrale du préjudice.

Rappelant que la faute du locataire oblige à réparation, l’arrêt insiste cependant sur le fait que le bailleur doit être en mesure de démontrer qu’il a subi un préjudice et qu’il peut comprendre le coût de la remise en état des locaux, sans que son indemnisation soit subordonnée à l’exécution des réparations ou à l’engagement effectif de dépenses. Il est toutefois précisé que le juge doit évaluer ce préjudice au moment où il statue et prendre en compte, lorsqu’elles sont invoquées, les circonstances postérieures à la libération des locaux, telles la relocation, la vente ou la démolition.

 « Vu les articles 1147 et 1149, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, et 1732 du code civil et le principe de réparation intégrale du préjudice ;

(…)

  1. Il résulte de la combinaison de ces textes et principe que le locataire qui restitue les locaux dans un état non conforme à ses obligations découlant de la loi ou du contrat commet un manquement contractuel et doit réparer le préjudice éventuellement subi de ce chef par le bailleur.
  2. Ce préjudice peut comprendre le coût de la remise en état des locaux, sans que son indemnisation ne soit subordonnée à l’exécution des réparations ou à l’engagement effectif de dépenses.
  3. Tenu d’évaluer le préjudice à la date à laquelle il statue, le juge doit prendre en compte, lorsqu’elles sont invoquées, les circonstances postérieures à la libération des locaux, telles la relocation, la vente ou la démolition.

En l’espèce, la Cour de cassation relève que la Cour d’appel a condamné le preneur au seul motif de l’inexécution des réparations sans établir que le bailleur avait subi un préjudice.

« 11. Pour condamner la locataire à payer le coût des travaux de remise en état des locaux, l’arrêt retient, par motifs propres et adoptés, qu’elle s’était engagée à restituer un local en bon état général, que le procès-verbal de constat d’état des lieux de sortie établissait que le local n’avait pas été restitué en bon état, que l’indemnisation du bailleur, en raison des dégradations affectant le bien loué et consécutives à l’inexécution par le preneur de ses obligations, n’étant subordonnée ni à l’exécution de réparations par le bailleur, ni à l’engagement effectif de dépenses, ni à la justification d’une perte de valeur locative, le fait que la bailleresse ait reloué le local et ne justifiait pas avoir effectivement engagé des dépenses était sans incidence, et que la locataire devait l’indemniser du coût des travaux nécessaires à la remise en état des locaux au vu du devis présenté.

En statuant ainsi, au seul motif de l’inexécution des réparations par la locataire, sans constater qu’un préjudice pour la bailleresse était résulté de la faute contractuelle de la locataire, la cour d’appel a violé les textes et principe susvisés ».

Ainsi que l’affirme la Cour de cassation elle-même dans un article que vous pouvez retrouver ici, par cet arrêt, « la troisième chambre civile réaffirme la solution adoptée en 2003. Si l’article 1732 du code civil instaure une présomption simple de faute du locataire, il n’instaure pas de présomption de préjudice ».  

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