Prescription et lien de connexité : des réponses

Catherine Bauer-Violas

Ainsi que nous vous l’avions annoncé dans un article daté du 27 septembre 2024, la Cour de cassation a rendu sa décision, le 15 octobre dernier (n°23-83.578) sur le volet sécuritaire de l’affaire Karachi.

Comme nous l’avions exposé, elle devait se prononcer sur l’appréciation faite par la Chambre de l’instruction des critères de connexité définis par la loi et la jurisprudence, pour dire si l’action intentée par les parties civiles pour homicides et blessures involontaires était ou non prescrite.

Ces dernières soutenaient en effet qu’un lien de connexité unissait les infractions d’assassinat et tentatives en relation avec une entreprise terroriste pour lesquelles une information avait été ouverte le 27 mai 2002, et les faits d’homicides et de blessures involontaires qui avaient fait l’objet d’une plainte le 30 mai 2012.

Pour rappel, l’article 203 du Code de procédure pénale dispose :

« Les infractions sont connexes soit lorsqu’elles ont été commises en même temps par plusieurs personnes réunies, soit lorsqu’elles ont été commises par différentes personnes, même en différents temps et en divers lieux, mais par suite d’un concert formé à l’avance entre elles, soit lorsque les coupables ont commis les unes pour se procurer les moyens de commettre les autres, pour en faciliter, pour en consommer l’exécution ou pour en assurer l’impunité, soit lorsque des choses enlevées, détournées ou obtenues à l’aide d’un crime ou d’un délit ont été, en tout ou partie, recelées ».

Le législateur a ainsi prévu quatre hypothèses de connexité en présence d’infractions commises dans une unité de temps par plusieurs personnes réunies, d’infractions procédant d’un plan concerté, d’infractions dont les unes sont commises pour procurer les moyens de commettre les autres, en faciliter, en consommer l’exécution ou en assurer l’impunité et de recel de l’objet d’une infraction.

Cependant, la chambre criminelle retient de façon constante que les dispositions de l’article 203 précité ne sont pas limitatives et s’étendent aux cas dans lesquels il existe entre les faits des rapports étroits analogues à ceux que la loi a spécialement prévus (Crim. 26 juillet 1988, n° 87-81.745).

Dans sa décision, la Cour de cassation rappelle d’abord la motivation retenue par la chambre de l’instruction pour infirmer les ordonnances du juge d’instruction :

« 14. Pour infirmer les ordonnances et retenir l’exception de prescription, l’arrêt attaqué énonce que les infractions d’assassinat et tentatives en relation avec une entreprise terroriste et complicité de ces crimes n’ont pas été commises par les mêmes personnes que celles d’homicides et blessures involontaires.

  1. Les juges ajoutent qu’imputées à des personnes différentes, elles ne résultent pas d’un concert formé à l’avance entre ces personnes, auxquelles il n’est pas reproché d’avoir commis les unes pour se procurer les moyens de commettre les autres, pour en faciliter l’exécution ou en assurer l’impunité et qu’il n’est pas question de recel.
  1. Ils considèrent qu’ainsi, les faits ne correspondent à aucune des situations définies par l’article 203 du code de procédure pénale.
  1. Ils rappellent que les cas de connexité s’étendent à ceux dans lesquels il existe entre les faits des rapports étroits, analogues à ceux que la loi a spécialement prévus.
  1. Ils retiennent qu’en l’espèce, il n’y a aucune unité de temps entre les deux séries d’infractions puisque l’attentat a été commis le 8 mai 2002 et préparé les jours d’avant, quand les fautes reprochées aux auteurs des infractions involontaires, à les supposer commises, l’auraient été durant les mois ou l’année précédente, lorsque le travail a commencé sur le chantier naval.
  1. Ils considèrent que l’attentat aurait pu être commis même en l’absence de faute d’imprudence et que les éventuelles fautes à l’origine des infractions involontaires n’auraient pas nécessairement entraîné la commission d’un attentat.

Ils indiquent que le résultat des infractions, qui leur est commun, s’il était recherché par les auteurs de l’attentat, ne l’était pas par les personnes mises en cause pour les atteintes involontaires.

Ils en déduisent qu’aucune communauté de dessein ou de conception ne peut être constatée entre les auteurs des infractions volontaires et involontaires, si bien qu’elles ne forment aucune unité permettant de les considérer comme connexes ».

Pour critiquer cette motivation, les parties civiles faisaient valoir notamment que les infractions d’homicides involontaires et de blessures involontaires sont des infractions matérielles qui se consomment lors du décès ou de l’incapacité, de sorte qu’en l’espèce les faits d’homicides et blessures involontaires se sont consommés non à la date des fautes d’imprudences alléguées mais lors du décès et des blessures des victimes, au moment et au lieu de l’attentat.

Sur ce point, la Cour de cassation a donné raison aux demandeurs :

« C’est à tort que la chambre de l’instruction a retenu qu’il n’y a aucune unité de temps entre les deux séries d’infractions, alors que, d’une part, l’homicide involontaire est constitué au jour du décès, tout comme l’assassinat, d’autre part, les fautes potentiellement à l’origine des blessures involontaires ont pu être commises le jour de l’attentat ».

 Mais sur le reste, elle a estimé que l’arrêt n’encourait pas la censure dès lors que, par ses autres motifs, qui procèdent de son appréciation souveraine, la chambre de l’instruction, avait fait ressortir que les deux séries de faits présentaient une insuffisante dépendance l’une par rapport à l’autre, de sorte qu’il n’existait pas en l’espèce entre les infractions les rapports étroits, analogues à ceux que la loi a spécialement prévus, qui seuls permettent de constater l’existence d’une connexité.

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