Référé suspension : lorsqu’un agent public est révoqué de ses fonctions, et donc privé de sa rémunération, l’urgence est quasiment présumée

Catherine Bauer-Violas

En matière de référé suspension, le Conseil d’Etat considère qu’en présence d’une décision d’éviction du service, il est inutile de demander au requérant d’apporter des justifications particulières alors qu’il apparaît évident que, par nature, la décision qu’il attaque le place en situation d’urgence.

Le Conseil d’Etat a jugé en ce sens qu’en se fondant, pour apprécier si la décision litigieuse préjudiciait de manière suffisamment grave et immédiate à la situation de la requérante, sur ce que, compte tenu du travail de son mari, elle ne fournissait pas de précisions sur les ressources et les charges de son foyer, alors qu’un agent public ayant fait l’objet d’une mesure d’éviction qui le prive de sa rémunération n’est pas tenu de fournir de telles précisions à l’appui de sa demande de suspension de l’exécution de cette mesure, le juge des référés a commis une erreur de droit (CE, 24 juillet 2009, Mme Gonçalves, n° 325638).

De même, dans une décision du 28 janvier 2011 (n° 342388), le Conseil d’Etat a jugé qu’ « en se fondant, pour apprécier si la décision litigieuse préjudiciait de manière suffisamment grave et immédiate à la situation du requérant, sur ce qu’il ne produisait aucun élément ni document relatif aux revenus dont il disposait réellement, alors qu’un agent public ayant été placé d’office dans une position statutaire qui le prive de son traitement n’est pas tenu de fournir de telles précisions à l’appui de sa demande de suspension de l’exécution de cette mesure, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a commis une erreur de droit ; qu’au surplus, en se fondant, pour apprécier l’effet de la décision litigieuse du 11 mai 2010, qui maintenait l’intéressé dans la position de disponibilité d’office dans laquelle il était placé depuis le 11 juin 2008 et qui continuait ainsi à le priver de son traitement, sur la circonstance que le requérant n’avait saisi le juge des référés que près de deux ans après la première décision le plaçant en disponibilité d’office, dont il n’avait d’ailleurs pas demandé l’annulation, le juge des référés a aussi entaché son ordonnance d’une erreur de droit » (v. égal. : CE, 7 mars 2018, n° 415125).

Cette jurisprudence est confirmée en l’espèce. L’arrêt commenté (CE 14 février 2025, n° 497341 à paraître sur Légifrance) précise en outre que la condition d’urgence doit être regardée comme remplie lorsque la mesure prise à l’égard d’un agent public a pour effet de le priver de la totalité de sa rémunération et que cette privation excède un mois, ce qui porte  une atteinte grave et immédiate à la situation de cet agent, sauf dans le cas où son employeur justifie de circonstances particulières tenant aux ressources de l’agent, aux nécessités du service ou à un autre intérêt public, qu’il appartient au juge des référés de prendre en considération en procédant à une appréciation globale des circonstances de l’espèce.

Dans cette affaire, le juge des référés, approuvé par le Conseil d’Etat, avait estimé que l’urgence justifiait la suspension de la décision en litige, qui privait définitivement l’agent de la totalité de sa rémunération dès lors que la perte du traitement ne serait que partiellement compensée par l’aide au retour à l’emploi et obèrerait de façon conséquente les conditions d’existence du requérant et de sa famille, alors même que son foyer jouirait également des ressources financières de son épouse. Il a été également relevé que si l’intéressé avait contribué à créer dans son environnement professionnel un climat délétère, l’établissement ne démontrait pas l’impossibilité de l’affecter provisoirement sur d’autres fonctions, de manière à pouvoir le réintégrer sans faire obstacle au bon fonctionnement du service.

Concernant en second lieu, la condition relative à l’existence d’un doute sérieux, le Conseil d’Etat a également approuvé l’analyse du juge des référés qui avait retenu qu’était de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision en litige, le moyen tiré de la disproportion de la sanction prononcée contre l’agent, aide-soignant au sein d’un centre hospitalier régional, affecté à la chambre mortuaire, par rapport aux faits qui lui étaient imputés. Le juge des référés, a rappelé que ces faits tenaient dans la diffusion entre collègues sur une messagerie privée d’images professionnelles, y compris d’images de la chambre mortuaire, la tenue de propos sexistes, racistes et irrespectueux, ainsi que l’instauration d’un climat néfaste au sein du service, mais également que la révocation constituait la sanction la plus lourde susceptible d’être prononcée contre un agent public. Or, il ressortait des pièces du dossier qu’il y avait lieu de tenir compte de circonstances propres à atténuer la gravité des manquements reprochés et du fait que cet agent n’avait jamais été sanctionné auparavant.

Article suivant
Le bénéfice de la protection fonctionnelle ne peut être accordé au maire avant l’exercice de « poursuites pénales » lorsqu’il agit en qualité d’agent communal : une occasion manquée
Article précédent
Rejet d’une demande de transmission des copies de pièces du dossier aux parties à l’instruction et excès de pouvoir