Saisine d’une cour d’appel matériellement incompétente : la sanction s’allège (Civ. 2e, 3 juill. 2025, n° 21- 11 .905, FS-B+R)

Catherine Bauer-Violas

Aux termes d’un récent arrêt, la Cour de cassation a opéré un important revirement en matière de procédure applicable au contentieux de la sécurité sociale. Elle abandonne en effet la solution ancienne selon laquelle la saisine d’une cour d’appel matériellement incompétente entraînait l’irrecevabilité de l’appel et privilégie désormais la règle de l’incompétence, plus respectueuse du droit d’accès au juge.

Rédigé de manière particulièrement pédagogique, l’arrêt effectue d’abord un rappel des textes applicables :

Aux termes de l’article 33 du Code de procédure civile, la compétence des juridictions en raison de la matière est régie par les règles relatives à l’organisation judiciaire et par des dispositions particulières.

Dans le cadre du contentieux de la sécurité sociale, l’article L. 311-15 du Code de l’organisation judiciaire (issu de la loi n° 2016-1547 du 18 nov. 2016) prévoit que certaines cours d’appel sont spécialement désignées pour connaître des recours dirigés contre les décisions des juridictions également spécialement désignées et visées à l’article L. 211-16 du .

Il résulte enfin de l’article D. 311-12-1, dans sa rédaction issue du décret n° 2019-912 du 30 août 2019 que le siège et le ressort des tribunaux judiciaires et des cours d’appel, ainsi spécialement désignés, sont fixés conformément au tableau de l’annexe VIII-III du code de l’organisation judiciaire.

Les faits de l’espèce : saisine de la Cour d’appel de Douai au lieu de la Cour d’appel d’Amiens.

Dans cette affaire, une société avait, le 18 septembre 2019, interjeté appel d’un jugement du TGI de Lille, en matière de sécurité sociale devant la Cour d’appel de Douai.

Par une ordonnance du 1er octobre 2019, le président de chambre de la cour de Douai déclare l’appel irrecevable. L’appelant saisit alors la Cour d’appel d’Amiens le 13 octobre 2019.

Celle-ci, par arrêt du 14 décembre 2020, rejette le recours comme tardif. Un pourvoi est donc formé contre cette dernière décision.

Abandon de la jurisprudence de 2009

La Cour de cassation rappelle ensuite que depuis trois arrêts rendus en 2009 (2è Civ., 9 juillet 2009, n°06-46.220, n°08-41.465 et n°08-40.541), la 2ème chambre civile juge « qu’une cour d’appel qui, tenue de vérifier la régularité de sa saisine, constate que l’appel d’un jugement rendu par un conseil de prud’hommes a été formé devant une cour dans le ressort de laquelle n’est pas située la juridiction dont émane la décision attaquée, en déduit exactement, abstraction faite d’un motif erroné mais surabondant tiré de l’absence d’acte, que l’appel n’est pas recevable ».

Cette jurisprudence était critiquée par la doctrine pour méconnaître les effets de l’incompétence constatée, en leur préférant la sanction de la fin de non-recevoir, avec pour conséquence de priver les requérants de l’accès au juge (La cour d’appel a-t-elle une compétence : variation sur les moyens de défense – Philippe Théry – RTD civ. 2010). 

Incompétence plutôt que fin de non-recevoir

La Cour de cassation relève toutefois que la chambre commerciale a fait évoluer cette jurisprudence s’agissant des recours formés contre les décisions rendues dans les litiges survenus en matière de pratiques anti-concurrentielles.

Depuis 2013 et jusqu’en 2023, la méconnaissance de ce pouvoir juridictionnel exclusif était sanctionnée par une fin de non-recevoir, laquelle devait être relevée d’office (Com., 31 mars 2015, pourvoi n° 14-10.016, Bull. 2015, IV, n° 59). Mais dans un arrêt du 18 octobre 2023 (Com., 18 octobre 2023, pourvoi n° 21-15.378, publié au Bulletin), la chambre commerciale jugé que la règle découlant de l’application combinée des articles L. 442-6, III, devenu L. 442-4, III, et D. 442-3, devenu D. 442-2, du code de commerce, désignant les seules juridictions de première instance indiquées par ce dernier texte pour connaître de l’application des dispositions du I et du II de l’article L. 442-6 de ce code, devenues l’article L. 442-1, instituait une règle de compétence d’attribution exclusive et non une fin de non-recevoir.

Depuis un arrêt du 29 janvier 2025 (Com., 29 janvier 2025, pourvoi n° 23-15.842, publié au Bulletin), elle juge que la règle d’ordre public découlant de l’application combinée des mêmes articles, désignant la cour d’appel de Paris seule compétente pour connaître des décisions rendues par lesdites juridictions, institue une règle de compétence d’attribution exclusive et non une fin de non-recevoir.

Ces évolutions ont poussé la deuxième chambre civile de la Cour de cassation à reconsidérer sa jurisprudence, et à juger désormais que la règle découlant de l’application combinée des articles L. 311-15 et D. 311-12-1 du code de l’organisation judiciaire, désignant les seules juridictions mentionnées par ce dernier texte pour connaître de l’application des litiges visés à l’article L. 211-16 du même code, institue une règle de compétence d’attribution exclusive et non une fin de non-recevoir. Cela implique qu’en cas de non-respect de cette règle de compétence, le greffe de la Cour d’appel irrégulièrement saisie, doit transmettre le dossier de l’affaire à la Cour d’appel compétente en vertu de l’article 82 du CPC.

Il faut noter que par un arrêt du même jour, la deuxième chambre civile a également jugé que la règle d’ordre public relative à la compétence territoriale d’une cour d’appel, prévue à l’article R. 311-3 du code de l’organisation judiciaire, relève des exceptions d’incompétence et non des fins de non-recevoir (Civ. 2e, 3 juill. 2025, n° 22-23.979, FS-B+R).

Ce faisant, la Cour de cassation propose une interprétation des textes, moins formaliste, compatible avec les exigences du procès équitable salué par la doctrine (Saisine d’une cour d’appel incompétente : revirement sur la sanction – Maxime Barba, Agrégé des facultés de droit, Professeur en droit privé à l’Université Grenoble Alpes, Codirecteur de l’I.E.J de Grenoble – 8 juillet 2025, Dalloz actualité)

.

Droit privéDroit social
Article précédent
Ce qui est exécutoire… peut être exécuté